lundi 24 décembre 2012

Tuer le père Noël

Des envies de meurtre!
Pas la lente agonie du mari infidèle qu' on empoisonne à petit feu...
Du crime! Et du bien crapuleux !
Des lames aiguisées qui fourragent dans les chairs.
Du plomb dans la bouche qui implore la pitié...
Je voudrais... Enfin quoi, laissez-moi tuer le père Noël !
Le père Noël, ce gros mensonge enturbanné de rouge. Ce binoclard cramoisi à la barbe fleurie de miettes. Ce briseur de rêve et ce pollueur de ciel.
Le père Noël, oui, tous les pères Noël. De chair et d' os, la bedaine coincée dans les bottes. Et ceux gonflés d' hélium qui s' agrippent aux façades...
Zigouiller. Trucider ces mitonneurs de têtes bien sages.  Les pourfendre en un gigantesque feu d' artifice rouge et blanc...
Enfants de partout, criez au monde que vous ne voulez plus y croire.
Que vos rêves sont plus grands que ceux qu' on vous donne en pâture.
Et qu' aucun de vos paradis ne se tient dans la nuit...


jeudi 13 décembre 2012

Pull over

Elle n' avait pas la raideur appliquée des couturières, la ride du lion des petites mains.
Elle tricotait en parlant de la pluie ou bien comme on respire. Comme on boit une liqueur de Myrte, comme on s' offre au soleil de mai... Le petit sac à ouvrage toujours à portée de regard, elle sortait les aiguilles à tout va, à l' ombre du vieux tilleul, dans le métro, sur la plage, un bout de fesse posé sur le fauteuil rouge en attendant que cuise la soupe et la laine gardait les odeurs, le céleri surtout, de ses voyages d' un jour...
Les mains travaillaient toutes seules, le modèle était toujours le même. Le chiné, son pêché mignon. Jersey endroit, envers, point de riz, mailles glissées ou mailles torses... Le long de ses aiguilles  pendouillaient en un clin d' oeil, un bras menu d' enfant ou un dos large d' homme.
A l' heure de l' essayage, debout sur un tabouret, nous prenions des poses de cow-boys qui se rendent au sheriff. Sa bouche hérissée d' épingles, on savait que c' était pour bientôt ces jours interminables où la laine gratte au cou.
Pendue à des fils rêches et comme dans un délire, je voyais alors danser devant mes yeux ces corps dénudés, enveloppant leurs peaux libres de soieries et de plumes.
A coup d' aiguilles, elle tuait le temps; nos rêves d' étés qui n' en finiraient pas...

dimanche 2 décembre 2012

Tourmente


La nuit parfois, sous la risée, ma maison est un rafiot.
Une coquille de noix. Un trois mâts de misaine dont l' équipage de jeunes mousses éreintés ronfle plus fort que le vent.
Dans la cale, au plus étroit de ses flancs, celui que pour rire on appelle capitaine ( à cause de son long cou ) compte et recompte les secondes, de temps suspendu d' un grain à son silence.
Puis fin saoul de suroît, s' endort au ciel lavé.
Dans la maison échouée quelque part sur la terre...



dimanche 18 novembre 2012

Novembre


Pourvu que l' horizon
Vienne border notre lit
Au creux des fougères pourpres
Au vert mouillé des mousses
Je t' offrirais
Des matins aux corps souples
Et profonds comme la mer
A moins que de mort lente
Nous mourrions
Immobiles
D' une orgie
De prudence















mardi 6 novembre 2012

Celui qui marche

Les poings serrés au fond des poches, le dos voûté, la tête dans les épaules, celui qui marche est d' abord une silhouette. Je dis celui mais c' est peut-être elle. Celui qui marche n' a pas de sexe. Il n' a qu' une histoire trop lourde à porter.
Celui qui marche ne sait pas où il va, mais il s' y rend d' un pas pressé. Tels les jouets de l' enfance, qu' on réveillait d' un tour de clé, ses jambes sont comme deux mécaniques dont rien, ni le vent, ni la glaise, ni les cailloux qui roulent, ne peuvent ralentir la foulée.
La beauté du paysage n' importe pas. Il faut qu' il soit assez vaste pour s' y sentir tout petit; assez familier pour n' y être rien.
Et puis, il faut le ciel...
Celui qui marche ne chemine jamais seul. Il emporte avec lui les morts et les vivants. Ses poches ne sont pas vides. Au creux des poings des mots dans des langues oubliées et la vie comme elle va.
Celui qui marche offre au vent sa tristesse, comme ces tombereaux de fusillés qu' on jette en un charnier.
Je dis celui mais c' est peut-être moi...
Moi qui vais, sur les chemins trempés de pluie, ma peine collée aux bottes, levant des légions de perdreaux, libre volaille au vol si lourd qu' elle mérite bien quelques injures.
Moi, seule, traversant l' océan d' argile où les sentiers, comme des jetées ne mènent à aucun bateau...
Je suis celui qui marche et mon ombre me précède.

Et c' est Toi, je le sais, qui tailles mon chemin...

mercredi 31 octobre 2012

Passer l' hiver


C' est un chagrin
Que je ne peux te dire
Car il est vaste comme la mer
Quand elle penche
Et voudrait déverser
Tout son sel par mes yeux
Plus cinglant
Qu' un ciel de décembre
Quand il pleut des cailloux
De la tourbe
Plein nos bouches
C' est un chagrin d' enfant
Qui arrose de larmes
Les bleus de ses genoux
C' est la même main stupide
Venue d' on ne sait où
Des doigts d' équarrisseur
Qui farfouillent dans nos gorges
Froissant ce qui palpite
Comme des papiers gras
Un chagrin de grand lièvre
A la course arrêtée
...
Nos amours
Mon amour
Ne passeront pas
L' hiver



mercredi 17 octobre 2012

Fille d' automne


Cette fille de septembre
Que tu couvrais de baisers
En pesant
Sur son ventre
Je me souviens
Comme elle riait
De sa première pluie
Mais les corps se défont
Au vol des gorge-bleue
Toisant le ciel d' octobre
Trempé de solitude
Il te faudrait creuser
Ces murailles de brume
D' une main qui tremble un peu
Et fouiller de la langue
Le brasier roux
De son désir
Avant
Que les flocons ne viennent
Se poser sur ton rêve
En petits tas
Frileux






jeudi 4 octobre 2012

Coques ( 3 )

Pas plus haute que trois pommes, une poignée de printemps, je remonte le seau où s' entasse ma pêche miraculeuse, dans une eau trouble de fond de baie. Sifflotant malgré moi, j' ai tout du jeune épagneul, la truffe humide, les chaussettes d' argile et dans l' oeil, la fierté du travail accompli. Comme lui, déposant la bécasse aux pieds de son maître, pour une simple caresse, je laisse le seau devant la porte, attendant, l' air de rien, les oh!, les ah!, les beau boulot, pétard d' oiseau, quelle pêche!
Ainsi flattée, comme il serait grand alors, et noble, de rendre à la mer ses enfants à coques striées. Dans un geste chevaleresque, renverser le contenu du seau de long de cette ligne incertaine où l' eau vient épouser la terre et rire de ces petits navires nacrés et patauds que les vagues viendraient chahuter avant de les rouler sur le sable.
Au fond du seau les bucardes, organes baignés de sang, pieds, reins, coeur et pourquoi pas pensées tendres ou peur farouche de la mort, pressentant l' ombre de mes remords, s' agitent, se pressent, palabrent et se rassemblent, ne formant plus qu' un cri, une longue plainte muette dont je perçois l' écho. C' est une révolution. Toutes sortent un bras vengeur qui balance à la surface de l' eau comme une trompe d' éléphanteau. Toutes sauf une, la plus blanche, qui se tient bien serrée sur elle même, prenant forme de coeur pour faire fléchir le mien, qui pour l' heure, a la souplesse d' un caillou.
Car il faut bien l' avouer, quand la faim vous tenaille, un coquillage n' est rien qu' un coquillage et avec lui, cette promesse d' amertume sucrée. Sur le bout de la langue, l' océan tout entier.
Ce goût de sel et de voyage...

dimanche 23 septembre 2012

Une maille, encore

Ce rêve que tu crochètes
Sous ta lampe d' opaline
Sent bon la cire au parquet
La confiture à la cuisine
Et la lavande
En petits sacs
Sans relâche
Tu tricotes
Un jardin
Zébré de chemins bleus
Un banc sous un tilleul
Quelqu' un qui t' y attend
Un rang pour un sourire
Un autre pour un dimanche
Qui n' en finirait pas
Des aurores éprises
Aux visages froissés
Qu' on ne peut s' empêcher
D' embrasser sur la bouche
Tu retournes l' ouvrage
A l' automne qui s' en vient
Au brin de couleur pourpre
Aux doigts trempés de brume
N' écoute pas les chiens
Garde toi de défaire
Le ruban qui s' enroule
Une maille encore
Une maille
De ton rêve
Au point mousse



mercredi 19 septembre 2012

...

C' est ce que j' aimais le plus, ta douceur. Cette dégaine de petit garçon.
Et ta façon de clouer le bec à ceux qui ignoraient qu' une fleur gracile que le vent chahute est un chêne à ses heures.
Au pied des blocs, on se croisait sans se chercher, des claires journées d' hiver aux soirées tièdes de fin d' été et je garde de toi une image par saison.
Oublier tout le reste, la longue traversée, de corps squelettique en visage soufflé, de cheveux qui s' envolent en espoirs toujours déçus.
La plus belle falaise à gravir, c' est celle qui t' attend ce matin, jusqu' à ton foutu paradis.
En solo.
Un sourire en coin, tu disais quelquefois que tu n' avais pas peur...
              
  à V...

dimanche 9 septembre 2012

Coques ( tableau 2 )


J' allais
Les boucles de cheveux
Poissées d' embrun
Par gros temps même
Retrouver ces gestes d' enfance
Front plissé
A genoux
Bien avant la lumière
Je sentais déjà la pépite
La coque entre les doigts
Le tendre lissé des palourdes
J' avais
Pour compagnons piaillards
Quelques grands oiseaux blancs
Chaussés de fourches
Un vieux crabe
A l' oeil torve
Le temps filait ainsi
Au tracé des rigoles
Tandis que la marée
N' en finissait
De relever ses jupes
Comme une femme de marin
Dévoile ses paysages
Aux yeux brûlés de sel
De celui
Qui n' en revient pas
...








mercredi 29 août 2012

Coques ( tableau 1 )


Le vieux chalu
Couché en fond de baie
Avait l' allure d' un chien qui dort
En attendant la fin
La mer le caressait
Du bout de sa marée
Douce
Comme la main du maître
Flattant ses os saillants
Quelles pêches miraculeuses
Quels désirs d' horizon
De retours attendris
Le vent chantait encore
Au balafon
De sa coque éventrée ?
Quels souvenirs d' épousailles
Quand aux soirs d' équinoxe
Docile
Il se laissait étreindre
Par celle
Qu' il ne savait plus chevaucher
...

vendredi 24 août 2012

Filantes étoiles


Nous avions vingt ans
Des poussières
A nous quatre
Les météores
Filaient entre nos doigts
Bouches en rond
Pendues aux mamelles du ciel
Nous attendions l' étoile
Moins pressée que nos vies
Moins pressée que ses soeurs
De courir vers sa fin
Qui nous laisserait le temps
Tout le temps de sa course
Pour déplier
Telles nappes blanches des jours de fête
Tels draps de lin des nuits de noces
Nos rêves interminables
Nous voulions celle
La seule
Qui nous laisserait aveugles
Le regard voilé d' une voûte fendue
Comme une raie scintillante
Sur un cul
Magistral

jeudi 9 août 2012

Un mot, l' été...

Mon oeil distrait à la fenêtre errait dans un ciel sans coton.
Une cigarette au coin des lèvres, encore et toujours à chercher le mot, le mot juste, celui qui dirait à lui seul toute la rondeur du monde, le sang pulsé de l' amour, les charognards de la rupture, la peur, la quête, la soif, l' espoir, le silence et la vie...
Dans le vert uniforme du jardin à midi, pariaient les arbres sur qui donnerait la première fraicheur, du vieux cerisier arthritique, au jeune tilleul tout gonflé de feuillage. Les fleurs se taisaient pour se faire oublier du soleil. Et moi, penchée, je cherchais le mot...
Sur le chemin qui mène à la maison, une seule tache brune, miraculeuse, et dans la tache, étalé dans son infinie langueur, le chat. Comme dans un théâtre à l' envers, poursuite noire sur fond clair de tout ce qui agonise et résiste à la morsure du feu, toi, mon corniaud des gouttières, sorcier capable de créer l' ombre en plein méridien pour te reposer de ta course... Allongé, étiré, du bout de la patte à l' oreille, afin de ne rien perdre de la fraicheur de cette goutte noire venue d' on ne sait où, on aurait pu te croire mort si ton ventre ne cessait d' aller et venir comme une vague régulière sur un rivage encore vierge.
A te voir ainsi crucifié entre quatre murs invisibles, abandonné au ciel, à la terre, à l' été, il me semblait sentir le mot cogner à mes flancs comme un enfant sur le point de naître, qu' il n' y avait plus qu' à le cueillir pour le bercer au puits de mes mains jointes.
D' un geste lent, pour ne rien perdre du sortilège, j' ai tapé quelques lettres d' un index malhabile.
Fébrile, j' ai tourné la tête. Dehors, l' ombre avait disparu en emportant le chat... Et sur l' écran, le mot n' était rien d' autre qu' un mot.
Minuscule.


vendredi 27 juillet 2012

Solo ( 2 )


Au dessus
De nos gorges
Garrotées
Un vélum
Qui ferait le ciel invisible
La chambre minuscule
Et l' air chargé de cailloux
Corps lestés
Trop étroits
Pour nos amours
Immenses
Couchés sur le flanc
Oubliés du troupeau
Paupières closes
Sur un soleil au zénith
Qui va sa chute
Vers son hiver
...



mardi 17 juillet 2012

Solo ( 1 )


Où le chêne
D' ordinaire
Trouve son terreau fertile
Le lièvre ne vient plus
Se rouler dans l' aigail
Et je tourne à l' envers
Epinglée
Au cadran du monde
Au cloître
De ma solitude
Tandis qu' au soir
Des gargouilles obscènes
S' en vont crachant
Leur mélasse épaissie
De rouille

L' amour
Ne sait pas ravauder
Son manteau de silence
...

samedi 7 juillet 2012

Celles qui vont lisant...






Sait-on vraiment
Ce que cachent dans leur coeur
Ces filles qui vont lisant
Sur le bord des rivières
Trois mots retors
Le regard se pose
Comme un insecte bleu
Sur le dos musqué des enfants
Occupés de vairons
Trois mots encore
Couché sur son talus
Le général est mort
Sa tripaille dans les mains
Quel rêve d' amoureux
Au roseau qui se penche
Désir de bateau
Mouchoir que l'on agite
La main tourne la page
Sur le corps de Lola
Et le courant résonne
Du galop écorché
D' une vieille rosse
Au combat

Toi qui marches sans cesse
Des vallons
A leurs berges
Etire d' un plissement d'oeil
Comme un peintre à l' ouvrage
L' ombre étendue sous l' orme
De celles qui vont lisant
Sur le bord des rivières
...





mercredi 20 juin 2012

Amants



Penché sous l' arbre unique
Ou le feu du fanal
Pêchait l' homme
A la nasse rebondie
De bateaux en carafes
La fille
Etait libre assez
Pour aller les pieds nus
S' écorcher à la grève
Le dard d' un fol amour
Fiché entre les reins

Rêve rouge
Ecrasé de soleil
Il pleut des couteaux sur le sable
Et le corps des amants
Se croyant
Affranchis
...

lundi 11 juin 2012

Inutile



Il disait regarde-moi
Je ne suis plus qu' une ombre
Mes yeux
Sont des cailloux
Et puis ce corps qui glisse
Dernière passe du tango
Inutiles
Nos poings
Contre le ciel aveugle
Mémoire vive du ressac
Ma bouche
Au marbre veiné
De ton ventre
Inutile disais-tu
A dénouer les cordages
Morte aux baisers de plumes
Quand s' épousent nos voix
Il me faut naître
Encore





mercredi 30 mai 2012

...


Je ne vois que le dos
Et la nuque en sueur
Mais jamais le visage
De l' étranger qui trace
Des sillons dans mes nuits
Des fenêtres
Aux emmêlements des forêts

Puisqu' ainsi tu me veux
J' irai déshabillée
Sous ma robe d' écume
A l' instant où les corps
Ne seront qu' une vague
Je t' apprendrai
A tutoyer les nues
Loin du sang caillé
Des regrets

dimanche 20 mai 2012

Ventre vide




Coeurs tracés
En pagaille
Et ces baisers soufflés
Comme des bulles de savon
Juste derrière
La vitre
...
Danse
Mon ange danse
Sur les pentes du volcan
Des fumerolles
Plein les mains
Mais l' oeil à la vigie
Fais teinter tes breloques
Au chant clair des fontaines
Jette un sou
Assassin
Au grand briseur de rêve
Habille toi d' enfance
Et puis reviens poser
Demain si tu y penses
Ta tête comme un soleil roux
A la combe
De mon ventre
Vide
...

à Camille

 


mercredi 9 mai 2012

L' auberge

Il y avait là quelques messieurs comme il faut, attablés devant un verre de vin jaune auquel ils ne touchaient pas...
Elle a  refermé la porte et  elle a dit  c' est pour dîner puis s' est dirigée vers la petite table carrée, à côté de la fenêtre tandis que, prestement, le garçon enlevait le deuxième couvert, la laissant seule face à la chaise de celui qui ne viendrait pas.
Elle a commandé à boire, très vite, alors seulement les vagues que formaient la voûte briquetée se sont figées, comme sa peur, en poutres de sel.
Dans son dos, de l' autre côté des battants, une assemblée prenait place autour d' une table en U, c' est ainsi qu' elle l' imaginait, tandis que dansaient devant ses yeux les nappes blanches sur prés verts des jours de communion de son enfance, dont elle percevait les bribes de discours interminables, ponctués de rires en grelots.
Les messieurs comme il faut ( l' un d' eux veste prince de Galles à petit col noir ) se sont levés l' un après l' autre, avec des lenteurs de fauve, salué avec la politesse un peu désuète des hommes d' un autre temps, laissant  place à la  nuée de martinets aux bras chargés d' assiettes et au sourire figé.
Elle se croyait seule, ne l' était pas.
Un couple installé à quelques tables d' elle, buvait sans trinquer, trois mots jetés tombés à plat quand on a fait le tour de l' autre, qu' on mastique en silence en évitant de regarder ces doigts qu' on emmêlait hier, sur les nappes en papier des palaces à quatre sous des amours débutantes, des trois étoiles au fond des yeux...
Et l' homme la regarde, je veux dire elle.
Furtivement d' abord, puis de manière appuyée, presque gênante. Il la trouve à son goût, sans doute, mais plus encore, c' est son mystère qui l' attire. Il voudrait capter son regard, chercher dedans qui elle est, ce qu' elle fait là, quelles lèvres d' homme ont laissé ces marques à son cou, quelles déchirures ces cernes au bord des yeux, quelle solitude ces gestes las et quels espoirs ce sourire en coin...
Dans la salle à côté le ton monte. On a tombé la veste. Les rires se font plus gras.
Elle paye et sort. L' homme ne gardera d' elle qu' un bonsoir en murmure.
Dehors, le ciel n' en finit pas de s' ébrouer.
Lumière mauve entre les gouttes.
Elle jette un dernier regard sur le vieux saule qu' on aurait dit planté sur une île, à la rondeur de fève... 


mercredi 25 avril 2012

Il aura fallu tout ce temps



Il avait l' art et la manière
De piétiner les fleurs
En épargnant les pâquerettes
Et leurs promesses
De pas du tout
Des vanneaux zigzagant
Volaient les mots à ta bouche
Les lâchaient en gerbes de sang
Lui le sourire fendu
Balayait tes baisers
Comme des fétus
Dans les accroche coeur
D' une fiancée farouche
..
Des brûlis
Pousse un ventre fertile
Va dans ta nudité
De vieux cheval
Tirant le cou vers l' horizon
Dis oui au vent tiède
Au regard outremer
Au chemin comme une arche
Laisse toi porter
Par tes jambes nouvelles
Accepte ce jour neuf
Avant que ne revienne
Le doute
Comme un insecte
Fou


samedi 14 avril 2012

Tablée


Ils entrent un par un
Par la fenêtre ouverte
Le jardin tout entier
Les forêts empesées
Et de grands arbres noirs
Fourrageant d' un doigt maigre
Les hanches
Des rivières
Le printemps pas seulement
L' automne
Et ses mirages
Les saisons en désordre
La couleur des violettes
Et le sang noir
Des mûres
Sur les joues des enfants
On se serre à la table
On boit de ce vin dru
Arraché aux coteaux
Dehors il n' y a plus rien
Qu' une longue mer étale
Que le feu des bergers

Pourtant quand vient ton ombre
Découpée au ventail
Toi qui ne passeras jamais
Les murs de ma maison
Ils savent à mes cheveux
Bruissant du vent du large
Au sourire
Aux bras nus
Ils savent à tout cela
Et sans fourcher jamais
Se passent à l' oreille
Quelques mots en volutes
Elle n' y est pour personne

dimanche 1 avril 2012

Bergère ( 3 )

Il arrivait à heure fixe, flanqué de son épouse, petite femme exquise et douce comme un berlingot, qui discrète, choisissait le minuscule fauteuil de bois noir pour y loger son corps de souris. Lui se laissait tomber dans la bergère, en poussant un soupir, et l' on ne voyait plus dépasser, de son grand corps de phasme, que la pointe aiguisée des genoux et des coudes, que recouvrait une peau presque bleue à force de frotter sur le granit de son interminable ossature...
Il joignait ses doigts noueux autour de sa bouche, comme celui qui voudrait confier un secret, puis, après un long temps de silence, rides au front, lançait des mots comme on le fait des balles. Et de ces passes de jongleur, sortaient le meilleur comme le pire, plutôt le pire ai-je souvent pensé du haut de mes six pommes, tandis que j' empilais mes cubes comme lui des concepts abstraits.
Le chat, qui se savait détesté de lui et le lui rendait bien, prenait un malin plaisir à sauter brusquement sur ce qui avait dû autrefois, dessiner la rondeur d' une cuisse, non par envie de s' y lover mais pour lui signifier que la bergère était son bien propre et qu' on ne pouvait y poser impunément une fesse, aussi étroite fut-elle. Lui, que ces contingences félines n' effleuraient même pas, repoussait vivement l' animal dans un cri, comme on envoie promener un insecte au ciel.
Moi, qui rentrais de mes bouts du monde, genoux griffés, la tignasse en désordre, moi qui l' écoutais sans comprendre, pressentais que c' était ailleurs, dans la douceur des mousses, le rugueux des écorces, le lissé d' un caillou, dans l' odeur de la pluie, le tourment des nuages, un sourire barbouillé de terre, que se nichait la vie, dont il ne savait rien que l' apparence, car les mots seuls nous laissent toujours au bord...
Suçotant mon crayon, dessinant des bateaux, j' attendais que sa femme, qui l' appelait mon doux, par un toussotement imperceptible, donne le signal de départ. Nous reprendrons demain, disait-il en se dépliant, revissant sur les cheveux d' un blanc de flocon, la casquette qu' il n' avait pas quittée.
Le dos voûté, ils traversaient le jardin comme deux ombres fragiles.
Alors, d' un même élan le chat et moi sautions sur la bergère et j' enroulais mon corps autour du rond parfait que formait le sien, comme une écharpe d' enfance, à mon cou, qui n' en finirait pas...

dimanche 18 mars 2012

Est-ce avril... ou la vague

D' où vient que certaine lumière
D' aube
Plus claire que le cristal
Me laisse ainsi diaphane
Et le corps souple
Que le ruisseau jaillisse
Des névés sales
De l' éternel hiver
Qu' il suffise
D' y passer les doigts
Pour sentir bouillonner le sang
Du voyage espéré
D' une caresse
Sur un ventre
Que le banc de pierre
Sous le saule
Compagnon immobile
Des jours mauves
Chauffe ma nuque
Comme un soleil de mai
Et ces fantômes
Qui tournaient là
Comme des forçats
Hier encore
A mon ombre enchaînés
S' éparpillent
Dans de grands gestes
De papillons

Est-ce avril
Qui s' en vient
Ou mon amour
Comme la vague
Contre laquelle
Je veux encore
User ma peau

mercredi 7 mars 2012

Minuit, mes morts...


Mon amour, ils ne viendront plus
Braconner à ma porte
Et plaquer leur tas d' os
A ma bouche écorchée
Par leurs baisers
Sans langue
Dressée
Au milieu de la ferme
Rouge
Je t' attendais
Quand le coq a chanté
Je les ai vus se rendre
Phalanges
De petits soldats décharnés
Et puis
D' un pas de castagnettes
Redevenir la pluie
Dans le fracas tombé
Des cendres
Des Gitanes
...

lundi 27 février 2012

Rendez-vous

Souviens toi j' avais peur
Du bistrot
Des marins
Leurs yeux brûlés de sel
Laissant leur dernière dent
Entre les seins défaits
De filles
Décharnées
Dans un coin sur la table
Juste en dessous du ciel
Tu dessinais pour moi
Des maisons de bois doux
En relevant tes manches
Pour tailler à mains nues
Des alcôves
De fougères
Rappelle toi j' avais peur
Du feu de mon regard
Des braises
Au bout des doigts
Quand je pleuvais en toi
Que je ne connaissais pas
...

lundi 20 février 2012

Bergère ( 2 )

C' était une boite de fer blanc que je tenais des deux mains comme on porte un objet sacré. Visage grave et sourcils froncés, tels ceux de l' enfant de choeur qui remettait au curé le calice à la grand messe du dimanche.
Je me hissais à nouveau sur la bergère et posais mon trésor sur les genoux, le temps de tirer la rallonge qui transformait la table en bureau de consul sur laquelle auraient pu se pencher de fins stratèges, livrant là leurs premières batailles sur des papiers jaunis.
Alors seulement j' ouvrais la boite, souriant à celle qui ne me voyait pas.
Le plaisir consistait d' abord à plonger les mains bien au fond et laisser filer entre mes doigts les pastilles rondes et colorées, comme on le fait avec le sable tiède des bords de mer. Puis le jeu commençait, qui n' avait pas de règles précises. Il me fallait en trier le contenu, par couleur, par matière, par forme ou par taille. Petits tas de boutons de culottes. Chemins de boutons des grands soirs. Boutons nacrés. Boutons dorés. Boutons de céramique aux couleurs vives. Larges boutons de bois.
D' autres sculptés comme des bijoux précieux.
Il me fallait élire mes préférés, toujours les mêmes, retrouver les paires, les assortiments, les égarés. Et puis n' en garder qu' un. Le poser dans sa main, voir ses longs doigts noueux en parcourir les bords, le dessin, et sourire à mon choix. Celui là..., commençait-elle et elle déroulait son histoire comme un grand ruban bleu et moi je l' écoutais, protégée par les bras puissants de ma bergère, je l' écoutais raconter la mort et puis la vie, les boucles dorées de l' enfance, le bon Dieu, le bon vin, les jours moches, l' amour et le lilas d' avril.
Là, dans ces après midi pluvieux, face à de minuscules terrils de boutons chamarrés, bercée par la voix de mon aïeule, j' ai puisé la force et l' envie.
Et le temps s' étirait, infini, jusqu' à l' heure des tartines.

dimanche 12 février 2012

Rivière



Pas la sauvage
Charriant sa boue
Entre les bras
De ses berges
Ecorchées
La douce
Des matins clairs de mai
Qu' il effleure d' un doigt
Délaçant ses méandres
Impudique elle accroche
D' un cheveu à la tige
D' un roseau
Une brindille
Des nuées de mots tendres
Et des gestes humides
Laissant faire le courant
Dans le creux de son dos
De la source
Au Delta

samedi 4 février 2012

Bergère ( 1 )

Ma grand-mère disait s' il te plait, pour une heure, sois mes yeux.
Et je grimpais sur les genoux de celle qui n' était pas une bergère ordinaire, frimousse terreuse, épis dans les cheveux, mais un profond fauteuil à oreilles, à l' habit un peu élimé. Avec mille précautions j' ouvrais le livre et commençais la lecture, tout en guettant du coin de l' oeil si les intonations que je donnais à des phrases auxquelles je ne comprenais à peu près rien, étaient conformes à ce qu' elle attendait de moi. La pénombre se glissait peu à peu dans la chambre et je devais rapprocher mon visage du livre pour en décrypter les petits signes noirs. Je me souviens d' elle, quand elle faisait de même, avant que ses yeux ne choisissent d' habiter la nuit. Infiniment penchée sur son ouvrage, lunettes épaisses et loupe à la main, je la voyais comme un naufragé qui gobe un dernier morceau de ciel avant de sombrer tout à fait.
L' air devenait dense, presque palpable, traversé par ma voix d' enfant. Parvenue au bout d' un chapitre j' attendais, silencieuse, que son souffle tranquille m' encourage à poursuivre. Alors reprenait le doux glissé des pages que l' on tourne.
Elle, les mains jointes, comme en prière, si proche, si loin pourtant, dans des contrées que mon inexpérience rendaient dangereuses; un monde dont je n' avais pas les clés. Jamais je ne posais la moindre question, le sens d' un mot inconnu que sais-je, et jamais elle ne chercha à donner du sens à ce mystère entier qu' elle me donnait à lire. Mes yeux étaient son océan, ma voix son bateau, mais nous savions tacitement qu' elle arpenterait seule les terres sauvages où je la déposais.
La nuit était tombée tout à fait quand elle me signifiait, d' un geste, que devait s' arrêter le voyage et je glissais à cet endroit précis, le long marque-pages de cuir rouge...

Alors, descendant de la bergère, je me dirigeais vers l' imposante armoire qui donnait à la pièce un air solennel.
La lourde porte s' ouvrait dans une plainte, découvrant la boite à boutons...

mercredi 25 janvier 2012

Remise de peine

Coupable d' avoir aimé
Follement mordre ta bouche
J' avoue
J'ai pris
Un max
Des barreaux aux fenêtres
Mais le ciel au plafond
Cassiopée ta pupille
Octant ta bouche
La nuit a ton visage
Et puis
J' ai dessiné la mer
Sur les murs de la chambre
Une petite maison blanche
Mon amour
Sur le seuil
Dix mille trois cents jours
A dit le type
Couleur corbeau
Moi j' ai souri
Prendre perpet' contre ta peau
Tu sais
C' était encore
Trop court
...

samedi 21 janvier 2012

Mauvais calcul

Des chemins au cordeau
La maison comme un cube
Le jardin bétonné
Une femme
Pour te donner des fils
Ne pas perdre le nom
Tracer des branches à l' arbre
Droit comme un peuplier
Les filles s' il en vient
Posées sur l' étagère
A côté du fourbis de la tante machin
Des vieilles pendules qui donnent l' heure encore
Avec une précision de métronome
L' heure de se lever
Manger pour se nourrir
Trimer jusqu' à plus d' heure
Se coucher pour dormir
Mais se méfier des songes
Des songes et de la poésie
Des étoiles
Des fées
De ceux qui regardent la mer
Car l' horizon vois tu n' est qu' une horizontale
L' amour une table de multiplication
La mort un héritage
On pose neuf
Et on retient ses larmes

Restait une inconnue à ton équation infaillible
La date de la tienne
De mort

Tu n' avais pas prévu de partir le dernier

lundi 16 janvier 2012

Nus

Animal pressé
Danseur novice
Je te sens qui
Chaloupes encore
Et je ruisselle en toi
Comme un printemps
Qui n' en finit pas
...

mercredi 11 janvier 2012

Rêve

Un instant, il m' a semblé que c' était vous au milieu de la foule, parce qu' il y avait ce type un peu moins pressé que les autres. Un livre dépassait de sa poche mais son visage était dur et ses gestes vulgaires. D' ailleurs, c' était stupide de penser que j' aurais pu vous trouver là, dans cette mer étroite, parmi ces gens comme des poissons à qui l' on aurait coupé les nageoires, ouvrant la bouche en rond pour trouver un peu d' air.
Je ne manquais pas de courage mais la terre, c' était quand même un peu grand et je n' avais aucune idée de l' endroit où vous rencontrer. Alors je me suis assise et j' ai attendu. Longtemps. J' ai observé le vol des oiseaux, lu, comme je le pouvais, dans le regard clair du renard, dans la course des nuages, la danse des feuilles, l' arrondi des collines, un signe, un cap, le début d' un chemin...
C' est ainsi qu' un matin, parce que le vent me disait de le faire, je me suis relevée et que j' ai pris la route. Je ne marchais pas au hasard. Les branches d' arbres, comme des doigts pointés se pressaient pour m' indiquer le nord. Jamais je ne me sentis perdue. Pas une seule fois, une pierre se mit en travers du chemin. Les rivières m' offraient leurs gués, les montagnes s' ouvraient en deux. La pluie lavait mon visage et le soleil caressait mon ventre. J' allais, sans ressentir jamais ni la faim, ni la soif, ni la fatigue. J' allais comme quelqu' un qui ne sait plus la douleur. Qui loge le ciel entier dans sa poitrine. Et chaque pas était une promesse de vous...
Une nuit, j' ai buté dans l' océan. C' était la fin du voyage. L' air était frais. La mer silencieuse, tellement qu' on eut dit qu' elle tenait d' un poing ferme ses garnements de vagues pour ne pas importuner ceux qui se posent et regardent le large. Mais vous ne m' attendiez pas. La plage était déserte. Un instant j' ai douté, je l' avoue. Si j' avais fait fausse route ? Un instant, oui, j' ai pensé que vous n' existiez pas. Je me tenais ainsi, dressée, face à l' horizon dont je percevais plus ou moins l' oblique au dessus du damier noir et argenté de la mer, plus mystérieuse que jamais.
Alors vous êtes arrivé. Je n' ai pas tenté un seul geste quand je vous ai senti approcher. Je n' ai pas eu besoin de tourner la tête, pour savoir que c' était vous. Vous vous êtes plaqué à mon dos, vos mains d' abord ont couru sur ma peau, s' arrêtant à chacun de ses paysages, de ses sources, de ses fractures, effleurant chaque blessure ancienne d' une paume douce, comme un onguent. Alors seulement vous avez parlé. Vous avez dit tant de choses et aussi que je n' aurai plus peur. Je vous ai cru, comme je croyais à vos mains sur moi, aux beaux jours revenus, à l' éternité de la mer.
Il aurait fallu demeurer ainsi. Ne plus bouger. Vous, moi, le désir et l' écume, la douceur de vos mots. Il aurait fallu rester des oiseaux.
Mais les femmes sont d' argile. J' ai voulu voir votre visage. J' ai voulu vous tenir.
Quand j' ai fermé mes bras je n' ai enserré que le vide.
Et la mer a lâché ses chevaux...

samedi 7 janvier 2012

Trois mots

Ce n' était rien
Tu sais
Trois mots
Pas plus
Semés dans un silence
Et germés dans un songe
Que j' aurais tus
Avant
Que tu ne les cueilles
A la rosée
De mon regard
Etoiles
Filantes
Qui ouvrent le ciel en deux
La grande flaque noire
Des solitudes

C' était pour toi
Tu sais
Ces trois mots là
Rendus
Au vent
...

mercredi 4 janvier 2012

Clair-obscur

Je te parle
En silence
Et nue
Un ange peut-être
Une araignée fébrile
De sa filière
Tisse la toile
Et garde nos secrets
Qui es tu
Quel visage
Le vent t' a t'il donné
Quelle ombre
Au bord des cils
Ont tracé
Tes grands arbres noirs

Sur le chemin qui court
De ta forêt à la mienne
Nous allons
Comme des lièvres aux aguets
Mais nos ailes
Ne se touchent pas
...

dimanche 1 janvier 2012

Berniques


Accrochées au granit, les berniques rêvent parfois.
Elles rêvent d' être le vent.
D' avoir des ailes ou bien des jambes, comme les bateaux qui vont sur l' eau.
A la mousson, chapeaux chinois, naviguant sur des jonques dans l' odeur du jasmin...
On a tort de croire que les berniques n' ont pas inventé l' eau chaude. Elles savent de nous ce que nous ignorons d' elles. Les yeux brûlés des femmes au retour des marins. Les pêcheurs qui se taisent. Les enfants presque nus...
Aux marées d' équinoxe, chahutées, douloureuses, elles voudraient lâcher prise et se laisser voguer. Elles rêvent d' une main douce qui caresserait dessus, dessous. De mots gentils. De mots tendres. D' un être exquis les appelant Patelle.
Les berniques ont des bleus à l' âme.
Alors, du sel sous la coquille, elles pleurent à gros bouillons.

Mais toi qui regardes la mer, tu n' en verras jamais que deux ou trois ronds dans l' eau...



Texte 2010, remanié
Excellente année à toutes et tous !