lundi 27 février 2012

Rendez-vous

Souviens toi j' avais peur
Du bistrot
Des marins
Leurs yeux brûlés de sel
Laissant leur dernière dent
Entre les seins défaits
De filles
Décharnées
Dans un coin sur la table
Juste en dessous du ciel
Tu dessinais pour moi
Des maisons de bois doux
En relevant tes manches
Pour tailler à mains nues
Des alcôves
De fougères
Rappelle toi j' avais peur
Du feu de mon regard
Des braises
Au bout des doigts
Quand je pleuvais en toi
Que je ne connaissais pas
...

lundi 20 février 2012

Bergère ( 2 )

C' était une boite de fer blanc que je tenais des deux mains comme on porte un objet sacré. Visage grave et sourcils froncés, tels ceux de l' enfant de choeur qui remettait au curé le calice à la grand messe du dimanche.
Je me hissais à nouveau sur la bergère et posais mon trésor sur les genoux, le temps de tirer la rallonge qui transformait la table en bureau de consul sur laquelle auraient pu se pencher de fins stratèges, livrant là leurs premières batailles sur des papiers jaunis.
Alors seulement j' ouvrais la boite, souriant à celle qui ne me voyait pas.
Le plaisir consistait d' abord à plonger les mains bien au fond et laisser filer entre mes doigts les pastilles rondes et colorées, comme on le fait avec le sable tiède des bords de mer. Puis le jeu commençait, qui n' avait pas de règles précises. Il me fallait en trier le contenu, par couleur, par matière, par forme ou par taille. Petits tas de boutons de culottes. Chemins de boutons des grands soirs. Boutons nacrés. Boutons dorés. Boutons de céramique aux couleurs vives. Larges boutons de bois.
D' autres sculptés comme des bijoux précieux.
Il me fallait élire mes préférés, toujours les mêmes, retrouver les paires, les assortiments, les égarés. Et puis n' en garder qu' un. Le poser dans sa main, voir ses longs doigts noueux en parcourir les bords, le dessin, et sourire à mon choix. Celui là..., commençait-elle et elle déroulait son histoire comme un grand ruban bleu et moi je l' écoutais, protégée par les bras puissants de ma bergère, je l' écoutais raconter la mort et puis la vie, les boucles dorées de l' enfance, le bon Dieu, le bon vin, les jours moches, l' amour et le lilas d' avril.
Là, dans ces après midi pluvieux, face à de minuscules terrils de boutons chamarrés, bercée par la voix de mon aïeule, j' ai puisé la force et l' envie.
Et le temps s' étirait, infini, jusqu' à l' heure des tartines.

dimanche 12 février 2012

Rivière



Pas la sauvage
Charriant sa boue
Entre les bras
De ses berges
Ecorchées
La douce
Des matins clairs de mai
Qu' il effleure d' un doigt
Délaçant ses méandres
Impudique elle accroche
D' un cheveu à la tige
D' un roseau
Une brindille
Des nuées de mots tendres
Et des gestes humides
Laissant faire le courant
Dans le creux de son dos
De la source
Au Delta

samedi 4 février 2012

Bergère ( 1 )

Ma grand-mère disait s' il te plait, pour une heure, sois mes yeux.
Et je grimpais sur les genoux de celle qui n' était pas une bergère ordinaire, frimousse terreuse, épis dans les cheveux, mais un profond fauteuil à oreilles, à l' habit un peu élimé. Avec mille précautions j' ouvrais le livre et commençais la lecture, tout en guettant du coin de l' oeil si les intonations que je donnais à des phrases auxquelles je ne comprenais à peu près rien, étaient conformes à ce qu' elle attendait de moi. La pénombre se glissait peu à peu dans la chambre et je devais rapprocher mon visage du livre pour en décrypter les petits signes noirs. Je me souviens d' elle, quand elle faisait de même, avant que ses yeux ne choisissent d' habiter la nuit. Infiniment penchée sur son ouvrage, lunettes épaisses et loupe à la main, je la voyais comme un naufragé qui gobe un dernier morceau de ciel avant de sombrer tout à fait.
L' air devenait dense, presque palpable, traversé par ma voix d' enfant. Parvenue au bout d' un chapitre j' attendais, silencieuse, que son souffle tranquille m' encourage à poursuivre. Alors reprenait le doux glissé des pages que l' on tourne.
Elle, les mains jointes, comme en prière, si proche, si loin pourtant, dans des contrées que mon inexpérience rendaient dangereuses; un monde dont je n' avais pas les clés. Jamais je ne posais la moindre question, le sens d' un mot inconnu que sais-je, et jamais elle ne chercha à donner du sens à ce mystère entier qu' elle me donnait à lire. Mes yeux étaient son océan, ma voix son bateau, mais nous savions tacitement qu' elle arpenterait seule les terres sauvages où je la déposais.
La nuit était tombée tout à fait quand elle me signifiait, d' un geste, que devait s' arrêter le voyage et je glissais à cet endroit précis, le long marque-pages de cuir rouge...

Alors, descendant de la bergère, je me dirigeais vers l' imposante armoire qui donnait à la pièce un air solennel.
La lourde porte s' ouvrait dans une plainte, découvrant la boite à boutons...