mercredi 25 avril 2012

Il aura fallu tout ce temps



Il avait l' art et la manière
De piétiner les fleurs
En épargnant les pâquerettes
Et leurs promesses
De pas du tout
Des vanneaux zigzagant
Volaient les mots à ta bouche
Les lâchaient en gerbes de sang
Lui le sourire fendu
Balayait tes baisers
Comme des fétus
Dans les accroche coeur
D' une fiancée farouche
..
Des brûlis
Pousse un ventre fertile
Va dans ta nudité
De vieux cheval
Tirant le cou vers l' horizon
Dis oui au vent tiède
Au regard outremer
Au chemin comme une arche
Laisse toi porter
Par tes jambes nouvelles
Accepte ce jour neuf
Avant que ne revienne
Le doute
Comme un insecte
Fou


samedi 14 avril 2012

Tablée


Ils entrent un par un
Par la fenêtre ouverte
Le jardin tout entier
Les forêts empesées
Et de grands arbres noirs
Fourrageant d' un doigt maigre
Les hanches
Des rivières
Le printemps pas seulement
L' automne
Et ses mirages
Les saisons en désordre
La couleur des violettes
Et le sang noir
Des mûres
Sur les joues des enfants
On se serre à la table
On boit de ce vin dru
Arraché aux coteaux
Dehors il n' y a plus rien
Qu' une longue mer étale
Que le feu des bergers

Pourtant quand vient ton ombre
Découpée au ventail
Toi qui ne passeras jamais
Les murs de ma maison
Ils savent à mes cheveux
Bruissant du vent du large
Au sourire
Aux bras nus
Ils savent à tout cela
Et sans fourcher jamais
Se passent à l' oreille
Quelques mots en volutes
Elle n' y est pour personne

dimanche 1 avril 2012

Bergère ( 3 )

Il arrivait à heure fixe, flanqué de son épouse, petite femme exquise et douce comme un berlingot, qui discrète, choisissait le minuscule fauteuil de bois noir pour y loger son corps de souris. Lui se laissait tomber dans la bergère, en poussant un soupir, et l' on ne voyait plus dépasser, de son grand corps de phasme, que la pointe aiguisée des genoux et des coudes, que recouvrait une peau presque bleue à force de frotter sur le granit de son interminable ossature...
Il joignait ses doigts noueux autour de sa bouche, comme celui qui voudrait confier un secret, puis, après un long temps de silence, rides au front, lançait des mots comme on le fait des balles. Et de ces passes de jongleur, sortaient le meilleur comme le pire, plutôt le pire ai-je souvent pensé du haut de mes six pommes, tandis que j' empilais mes cubes comme lui des concepts abstraits.
Le chat, qui se savait détesté de lui et le lui rendait bien, prenait un malin plaisir à sauter brusquement sur ce qui avait dû autrefois, dessiner la rondeur d' une cuisse, non par envie de s' y lover mais pour lui signifier que la bergère était son bien propre et qu' on ne pouvait y poser impunément une fesse, aussi étroite fut-elle. Lui, que ces contingences félines n' effleuraient même pas, repoussait vivement l' animal dans un cri, comme on envoie promener un insecte au ciel.
Moi, qui rentrais de mes bouts du monde, genoux griffés, la tignasse en désordre, moi qui l' écoutais sans comprendre, pressentais que c' était ailleurs, dans la douceur des mousses, le rugueux des écorces, le lissé d' un caillou, dans l' odeur de la pluie, le tourment des nuages, un sourire barbouillé de terre, que se nichait la vie, dont il ne savait rien que l' apparence, car les mots seuls nous laissent toujours au bord...
Suçotant mon crayon, dessinant des bateaux, j' attendais que sa femme, qui l' appelait mon doux, par un toussotement imperceptible, donne le signal de départ. Nous reprendrons demain, disait-il en se dépliant, revissant sur les cheveux d' un blanc de flocon, la casquette qu' il n' avait pas quittée.
Le dos voûté, ils traversaient le jardin comme deux ombres fragiles.
Alors, d' un même élan le chat et moi sautions sur la bergère et j' enroulais mon corps autour du rond parfait que formait le sien, comme une écharpe d' enfance, à mon cou, qui n' en finirait pas...