dimanche 29 décembre 2013

Qui ( 5 )


Sur trois notes
De Steinway
Une voix tannée
Le jour
S' effrange

Parfois la nuit oublie
De faire saigner ses ombres

     

mercredi 25 décembre 2013

Qui ( 4 )


Vois le vol de l' autour
Qui fond et fait sa proie
Du cœur bandé de celle
Que le ciel a quittée

Et tu parles encore d' innocence ?

mardi 17 décembre 2013

Qui ( 3 )

Dans le silence épais
De la lente saison
Le vent portant ta voix
Dépose entre deux songes
Dans ma paume engourdie

L' obole d' un printemps sous le givre

vendredi 13 décembre 2013

Qui ( 2 )

Quel masque choisis-tu
Dans ce jeu d' ombres
Quand nos langues déliées
Viennent lécher la blessure
Jusqu' à l' antre moussue
Des secrets ?

Souvent, nous restons sur le seuil

mardi 10 décembre 2013

Qui


Qui était-il celui
Surgi du long sommeil
Au vertige d' un dimanche
Qui prenait tout son temps

Comment savoir
Quelle forme avaient ses mains

Et ce qu' il en faisait ?


jeudi 5 décembre 2013

Vieux, un jour



Traverser
En grinçant
Des journées inutiles
Voyageur fatigué
D' un monde qui ne bat plus
N' être plus que cela
Une peau désarmée
Un corps de baleine franche
Harponné sur la berge
Suçant le ciel tronqué
En un long cri muet
La bouche échancrée
Des mourants...

vendredi 29 novembre 2013

Village. Portrait 5 ( réponse )


Petite écervelée, rien ne me fait plus rire que ton orgueil de mortelle !

Que sais-tu donc de moi ? Du chant limpide de mes premières années, quand j' ignorais tout du glas et de la guerre? Quand j' entendais piailler mes sœurs, au delà des collines, avant qu' on ne les fonde pour en faire des canons...
Du haut de mon âge d' airain, je te regarde et je sais tout de toi.
Je n' ai rien oublié de ces dimanches de Pâques où tu te jetais à mon cou, retenue par les mains fermes de ton père, qui entre nous soit dit, fut le seul à savoir me faire chanter comme il faut... Ces jours de communion, où j' aimais faire voler les aubes, comme de grands oiseaux blancs... Faut-il te rappeler ces après-midi desoeuvrées où tu chipais les clés au clou du presbytère, pour grimper au clocher qui me sert de maison ? Crois-tu que j' ai oublié tes yeux qui cherchaient à voir sous mes jupes tandis que tu montais à l' échelle interdite aux barreaux vermoulus ?
Aujourd' hui, je ne chante plus que pour les vieux qui partent. Mes dimanches sont vides. Les amants se séparent avant de s' épouser. Je bégaie les heures du jour et cela ne me rend ni meilleure ni pire que vous autres qui courez sur deux pattes en vous croyant plus fort que le temps.
Je ne te laisserai me juger, toi, que je vois errer, solitaire, le nez dans les godasses empesées de la terre noire de nos forêts. Parfois même, je l' avoue, il m' arrive de me sentir utile quand je parviens à te tirer de ces rêveries qui t' épuisent pour te ramener au monde des hommes.

Je te regarde et je sais tout de toi.
Comme j' ai su la vie de tes pères.
Comme je ponctuerai celle des tes enfants.

Et qui donc perçoit les sanglots sous mon chant, quand passent vos cercueils au pied de mon clocher ?

dimanche 17 novembre 2013

Village. Portrait 5

Nom de baptême: Germaine.
Petite tête, vaste corps. Eternel manteau couleur bronze, évasé aux genoux.

Germaine chante à la paroisse, et pour peu qu' on la sonne, prend sa voix la plus suave pour célébrer les amoureux; la plus solennelle pour accompagner un défunt jusqu' au bord de son trou.
Le reste du temps, Germaine exige, presse, invective avec l' humour d' un métronome.
Nostalgique de ce temps béni où sa voix de stentor résonnait au delà du vallon, arrachant de leurs épis des faucheurs pré pubères pour les envoyer au casse-pipe.

Germaine a l' âme d' une mère maquerelle.
Un cœur d' adjudant chef.

Germaine m' agace. Germaine s' en moque.

Elle égrène les heures qui me restent avec un sourire de croque-mort.

dimanche 10 novembre 2013

Hasard


Le ciel bas de novembre, de l' or dans les bouleaux et devant moi l' asphalte...

Les mains sur le volant, le corps à la vigie, mes pensées s' envolaient plus haut que les mâtures.
Dans cet espace gazeux où retombe en poussière ce qu' on croyait tenir.
Dans le désert ocré de mes empêchements.

Mais le hasard parfois, s' invite au bal perdu.
Et ma chance était là, posée sur le bitume.

Un livre.

Un livre sous la pluie.
Egaré, oublié. Ouvert.
Tel un gros oiseau ivre qui ne trouve plus son vol.

Il me fallut faire marche arrière et saisissant l' ouvrage, humide comme un corps qui se donne, j' en déglutis le titre.
Il tenait en deux mots:

Risque tout





vendredi 1 novembre 2013

Village. Portrait 4

J' ai dix ans et des yeux aussi ronds que les larges aréoles qu' on devine sous son corsage de soie...
Elle a croisé ses jambes de majorette, serrées dans un collant couleur chair.
Son pied balance au tempo lent d' une mélodie qu' elle est seule à entendre, une chanson à la mode qui dit love, baby love.
Son pied balance en même temps que les mots qu' elle lâche, d' une bouche entrouverte et mouillée, silencieux, comme des volutes de fumée mentholée.
Son pied balance et c' est une vague qui nait à la cambrure de la cheville, roule au genou, se meurt en haut des cuisses, sous les carreaux d' une jupe faussement sage.
Elle penche un peu la tête. Elle est ailleurs.
Sous la médaille de baptême, l' échancrure du tissu, la soie prête à craquer, j' entrevois le sillon qui court entre ses seins. Deux Everest laiteux et fermes. Des seins de cinéma, tendus comme une offrande. Des seins de louve ou d' amazone, de nourrice. De Vénus.
Et les petits boutons de nacre, étirés à l' extrême, sont comme la dernière digue à contenir
l' Eden, une terre d' abondance aux éminences sacrées.
Elle souffle un air tiède sur ses ongles pour en sécher le rouge étincelant. Elle n' est pas là.

Elle n' a que faire de mes yeux qui cavalent de sa gorge à ses cuisses, comme une grosse araignée, à l' affut d' un reste d' enfance dans ce corps de femme fait.
Elle n' entend pas la voix trainante de ceux qui l' appellent mademoiselle en se courbant un peu.
Sourde aux rires des morveux qui reluquent ses culottes séchant à l' étendoir...

Elle n' est pas là. Pas assise entre fromage et tabac dans cette boutique de culs terreux.

Elle chante à l' Alhambra..
Elle tourne à Hollywood...
Sous les flashs crépitants, se coule en bikini dans une eau bleu turquoise...



dimanche 27 octobre 2013

Village. Portrait 3.

Ma grand-mère, je l' appelle la vieille. Pas méchamment.
Petite et fripée comme un raisin sec; et plus tordue que le bâton auquel elle s' accroche quand elle descend me voir.
Sa maison est l' une des dernières du village. Une longue bâtisse triste et noire. La mienne n' est pas plus gaie mais elle est tout en bas.
La vieille, je n' ai plus qu' elle et elle n' a plus que moi. Depuis que la grosse tête de ma mère a roulé sur la table; sa main tenant bien serré le verre d' eau de vie.  Et elle me regardait encore. Avec ses yeux d' aspic.
C'est à cause de ces yeux-là, de son mauvais sourire et de la bouillie d' orties qu' elle crache quand elle parle, que mon père s' est enfilé la crosse de son fusil dans la bouche. Le jour de mes dix ans. Juste après, j' ai enfoncé dans ma gorge à moi le goulot d' une bouteille de gnôle et j' ai tout bu sans m' arrêter.
Ma mère, ça lui a fait ni chaud ni froid. Ni son bonhomme par terre, ni mon premier coma. Elle a appelé ma sœur pour qu' elle s' occupe des obsèques.
Ma sœur, on ne la voit plus. Elle vit loin d' ici. A la ville. C' est devenu quelqu' un comme dit la voisine. Avant de partir, elle avait fait venir l' instituteur à la ferme pour qu' il dise à ma mère que j' étais bon à l' école, que je méritais de faire des études. Et qui c' est qui retournera la terre ? elle a dit. Il est revenu une fois encore, avec un litre de bon vin rouge pour l' amadouer. Elle a gardé la bouteille mais elle a pas cédé.
J' aimais ça, moi, apprendre. L' été, après les moissons, je me planquais dans la grange avec le livre de géographie que le maître me laissait pour les vacances. Je le connaissais par cœur. Les mots et les images. Celles qui montraient le désert étaient mes préférées. On voyait des hommes, des bédouins comme ils disent, dans des grands habits noirs assis en rond autour d' un feu. Parce qu' il faut pas croire mais là-bas, c' est glacial la nuit...
Comme ici depuis que je n' allume plus le poêle. Depuis que j' ai mangé le cochon, vendu la vache, cédé les champs. Depuis que les poules sont mortes de vieillesse et que le potager reste en friche. Que je bois mes économies...
L' alcool, je connais ça depuis les langes. A cinq ans, ma mère en versait dans mon lait de quatre heures pour que je retrouve le goût du sein maternel. La vieille, elle crache pas dessus non plus mais toute brindille qu' elle est, elle est plus solide que le marronnier de la cour. Je vous enterrerai tous, qu' elle dit en repoussant de la langue la seule dent qui lui reste. Quand je reviens de chez elle, la route n' est pas assez grande pour moi. Si je croise des gens, je leur crie tout guilleret c' est l' beau temps.. et ils me sourient sous leur parapluie.
Les gens d' ici m' aiment bien. Pas comme leurs saletés de gosses. La nuit, ils viennent en bande derrière mes fenêtres et ils rigolent parce que j' ai peur. C' est pas ma faute à moi si j' ai peur pour de vrai, quand je vois toutes ces bêtes sur les murs, au plafond. Des rats immondes et qui saignent des dents.
J' ai tué le chat l' autre soir. A coup de fourche dans la grange. Au matin j' étais triste. Je ne me souvenais de rien. Des fois, je ne retrouve même plus le chemin de ma maison...
Mon ventre est gonflé comme un ballon, je suis tout maigre dessous. Le docteur m' a dit pour mon foie... Si rose, comme la couleur des filles.
Ou comme les fleurs.
Comme celles que la vieille jettera dans le trou, le jour de mon enterrement...

lundi 21 octobre 2013

Village. Portrait 2


Bien sûr le dimanche, il y avait les seins d' Edwige, sa voix de chatte et ses cils de jeune faon...

Assise d' une demie fesse sur le haut tabouret, elle travaillait ses poses en trônant comme une reine dans l' espace lilliputien qui servait de boutique.

Au beau milieu de la grand messe, et pendant que les femmes priaient pour le salut de leur âme, les époux quittaient le nid crasseux pour courir à la boutique. Là, triturant leur casquette, le regard dans la sciure ou les chevilles d' Edwige, quémandaient d' une voix blanche un bout de lard, du savon, ou des oignons grelots.
Et madame R., propriétaire des lieux, aussi sèche que sa fille était suave, s' adoucissait à mesure que s' ouvrait le tiroir caisse.

Si le rouge des lettres Café Epicerie s' écaillait avec le temps, si l' enseigne du tabac menaçait de tomber à chaque coup de vent, l' intérieur était tenu de main de maître. Dans un ordre aussi savant que mystérieux, se côtoyaient bonbons, journaux, glaces et conserves, fruits frais, fromages, dentifrice, nuisettes, espadrilles, clous, colle, vins et spiritueux, papier à lettre, lessive, coton à repriser, aiguilles et crochets...
Côté zinc, quelques piliers de comptoir noyaient dans l' anisette  les souvenirs épais d' une vie sans exploit. Monsieur R., qui connaissait la chanson par coeur, les plantait là et surgissait dans la boutique, précédé de son rire de cailloux. Le tablier noué sous un ventre généreux, il enchainait les bons mots elle veut des pêches, alors, dépêchons nous.. sous l' œil furibard de sa femme, pour qui la vie ne serait jamais une partie de plaisir. Ah, c' te fatigue ! rugissait-elle en levant les yeux au ciel tandis qu' il quittait la scène, hilare, en l' appelant maman.

Mais, pour dire vrai, rien, ni la bonne humeur du patron, ni les grimaces de sa femme, ni les odeurs d' ail frit qui s' échappaient de la cuisine, ni la rousseur éclatante d' un fils mal dégrossi, tout juste bon à porter les caisses de bière et qu' on chassait de la main, comme on le fait avec les mouches, rien, pas même, le souvenir des cuisses d' Edwige sur le tabouret de bois blanc, ne pouvait rivaliser avec la pièce maîtresse du lieu, orgueil et gloire de ses propriétaires: la machine à jambon !
Montée sur un piédestal, toute habillée de rouge, les chromes éblouissants, elle occupait crânement le centre de l' espace.
Ah! Les jours avec jambon, c' était la fête pour tout le monde !
Madame R., avec une rigueur de vicaire, plaçait le morceau de viande entre les minuscules encoches, et, prenant une lente respiration, faisait tourner la manivelle, quittant chaque fois le sol à mesure que les tranches tombaient sur le papier dans un fracas d' éboulement.

On payait le prix fort en étouffant un rire.

On mangerait du jambon jusqu' au jour du seigneur...



lundi 14 octobre 2013

Village. Portrait 1

La chasse, la braconne, les champignons, les bois. Une vie.
Sa vie.
Depuis toujours.
Depuis le temps où il caillassait sa mère, qui n' avait jamais su lui dire le sourire de celui qui l' avait conçu.
Lui, belle gueule de petite frappe qu' on rêverait d' assagir. Les trois points des mauvais garçons tatoués à l' envers de la main. Le genre qui plait aux filles et des filles il en eut. Qui auraient renié père et mère pour suivre ce Brando des bosquets jusqu' au fin fond de sa tanière. Qui n' auraient tardé à pleurer sang et eau, cocufiées dès l' aube par la forêt toute entière. Guettant, comme des renardes, le retour d' un coureur de taillis, qui ne digérait que le fromage blanc.
Rêva une nuit d' océan. S' étonna de cette ligne qu' on appelait horizon. Mit dans sa besace de quoi tenir en mer, une poignée de terre sèche, et partit sans mot dire. Se trompa de sens et fonça droit vers l' est. Ne trouva pas la mer. Revint chez lui le lendemain soir. A quoi bon le monde ? C' était une fin d' été. Sous les chênes les girolles perçaient. Le jaune de leurs corolles valait tous les soleils...
Epousa la seule fille du pays qui ne fut jamais prise, parce qu' elle avait de larges hanches et ne rêvait pas de robes de soie dans le tournis des villes.
Enfila les automnes au goût d' humus et de cochons sauvages.
Traça dans un carnet à spirales les limites de son monde, à l' encre noire des forêts.
Et n' en demanda jamais plus à la vie.

dimanche 6 octobre 2013

Echec et maths

Je n' irai pas par quatre chemins, autant le dire tout net: les maths et moi ça fait deux !
Enfant déjà je maudissais l' os d' Ishango et le premier tordu à vouloir empêcher les gamins de courir dans la brousse en les faisant sécher sur pieds avec des: si d' un seul coup de percuteur le silex vole en quatre vingt treize éclats, combien le tailleur doit-il enchainer de gestes pour obtenir une hache prête à polir ?
Tant d' heures perdues, à plancher sur des collections d' œufs que cette vieille rapiat de fermière s' entêtait à vouloir ranger dans des boîtes, sans jamais en casser un, glisser en douce dans la poche de son tablier crasseux de quoi préparer une bonne omelette qu' on aurait partagé comme ça, sans chichis, sur un coin de table...
Combien de courses folles ratées, à compter les gouttes imbéciles s' échappant, imperturbables, d' un robinet dont le patron aurait mieux fait de changer le joint plutôt que de courir le guilledou ou s' enfiler des Suze au bistrot du coin jusqu' à plus soif.
Et combien de récrés, de parties de billes remises, à tenter de démontrer qu' un rectangle est un rectangle en essayant d' admettre que nos yeux, pourtant si prompts et perçants à repérer les nids, les chemins secrets des fourmis sous les feuilles, ne nous servent à rien: Quelle figure obtenez-vous ? Heu, un triangle m' sieur.. Prouvez-le ! Ben.. y' a trois côtés.. Tss tss ! La formule mon petit, tout est affaire de formule..!
Bon dieu, à l' aide, au secours, à moi ! J' implorais Archimède, il aurait fallu Pythagore. J' avançais Euclide mais seul Thalès pouvait me sortir du pétrin...
De la torture je vous dis !
Depuis lors, j' ai cessé de me triturer le crâne pour y sentir le début d' une bosse qui ne poussera jamais. Je vis dans un monde sans hypoténuse, où les facteurs sont des types qui sifflotent sur leur vélo, les identités remarquables des gens qu' on voudrait serrer dans ses bras. Et mes chemins à moi sentent bon la noisette.
Aussi, messieurs, je vous exhorte d' aller au diable, vous, vos blouses blanches boutonnées jusqu' au col, vos barbiches impeccables, et d' effacer de mes nuits blanches les tableaux noirs zébrés de petites écritures frénétiques, de ces chiffres qui ne me parlent pas, ces signes dépourvus de rondeur..
Prenez vos clics, vos clacs, vos bouliers et vos toises et rejoignez vos univers cubiques où jamais aucune logique implacable ne pourra rassembler mes idées folles en conjectures.
Développez-y tant qu' il vous chante, vos théorèmes de la limite monotone, du rang constant, de la base finie et du singe savant...
Laissez-moi vivre sans racine et sans puissance.

Car de vos noms illustres, Eratosthène, Platon et Ptolémée, Héron d' Alexandrie, Zénon d' Elée ou Mercator, je ne garderai rien, que le goût de la langue et du voyage.


dimanche 29 septembre 2013

Mort nuit ( 2 )

Nuit moite épaisse et lourde
A la lune encagée
Que reste t' il de nous
Si la houle au couchant
Ne me fait plus
Oiseau

Brasser par dessus le grand fleuve
Suivre l' aussière qui va
De ma bouche à ta bouche

Au rythme des calendes
Pubis, ventre et poitrail
Parlent encore
De nous
...



jeudi 5 septembre 2013

Mort nuit

Si la mort monte
Comme la mer
Et fouine
De sa truffe poissée
Lymphe et chair et sang
Que ce soit au grand jour
Et piqué de promesses
Comme l' enfant que j' étais
Déchirait le grand drap
Des crépuscules en sueur
Ne rien céder
Jamais

Aux morsures de la nuit

lundi 26 août 2013

Quatre saisons ( 3 )

Un sourire d' ange
Pas moins
Pour tailler un chemin
Jusqu' au jardin défait

Et décembre neigeait
Ses papillons, des plumes
Sur la maison
Comme un arbre
Assoiffée, j' en gobais les fruits
Les mots tendres aux ramures


Affranchie des tombeaux
Mâche encore à mi voix
Le plus doux
Des poèmes
...

mercredi 24 juillet 2013

Quatre saisons et plus ( 2 bis )


Nous inventions des vies
Au marbre d' une enseigne
Quand nos sangs débordaient
De demains sans mémoire
Pourtant que cherchions-nous
Dans l' odeur fauve
Des chrysanthèmes
Qu' éprouver au plus loin
De nos corps
D' oiseaux ivres
L' échancrure profonde
De la toute première
Mort
...

jeudi 18 juillet 2013

Quatre saisons et plus ( 2 )



La rue cernée de murs abritait des jardins où personne n' allait plus
Les fenêtres damassées ne laissaient entrer aucun ciel
Passante, je foulais tes trottoirs embués

Je songe à toi, ma ville
Et ton silence me revient

Ton silence et l' automne

La cour est un bateau, les galeries ses coursives
Guère plus hauts que des mousses nous cherchions le large des yeux
Nous avions froid sous nos tignasses, nos os poussés trop vite
Au fond des poches un bric à brac de gaies désespérances
Et de sourires en coin

Compagnon des toutes premières fois
Premiers baisers et premières clopes
Premières vraies larmes de fin du monde
Souviens-toi sous le sel
Le bonheur s' il existe
Avait la couleur de septembre


mardi 11 juin 2013

Quatre saisons et plus ( 1 )

Il me semble que j' allais toujours nue, à pêcher le soleil d' un filet lesté de coton.
Que le vent têtu de décembre n' était qu' une simple brise, les dessins du givre sur les vitres, de longues et graciles marguerites et les boules de Noël des cerises sur la neige...
C' est peut-être cela l' enfance, se sentir nu sous un chandail qui gratte, les mains libres au fond des moufles et de gros paquets de rêves nichés sous la cagoule.
Un être minuscule sous un ciel infini, nuque cassée, bouche grande ouverte à gober les larmes des nues, qui reçoit, comme une douche bienfaitrice, la pluie cinglante des mauvais jours...
Dans un éternel été de presque dix ans.

Un corps qui ne ressemble à rien. Je veux dire auquel on ne prend pas garde. Auréolé de bleus, griffé, poissé de mûres. Un corps qu' on cogne ou frotte à d' autres corps, nos semblables, et qu' importe qu' ils soient plus ronds, plus maigres, ossus ou bien nerveux. Un corps qui ne serait que membres: des pieds pour courir, des cuisses pour pédaler, des genoux pour grimper, des mains pour se suspendre et de petits biceps de rien qu' on bande comme on peut dans un geste d' enfant singe.
Deux bras, deux jambes, autour d' un cœur en marche.

Et puis un crâne fendu pour y loger son lot de songes et de pourquoi...
Pourquoi les nuages ont des ailes et comment s' y prend la souris pour enterrer nos quenottes? Pourquoi nos rêves de la nuit font si peur quand ceux du jour ont un parfum de miel ?
Et comment font nos mères pour avoir un ventre si doux et savoir dissoudre nos peines d' une caresse, comme le chocolat dans le lait de quatre heures ?
Car au dessus du jardin écrasé de soleil grondent des chagrins lourds.
Cauchemars et mares à boue... Des nez qui coulent et qu' on mouche à la diable d' un revers de main sale, des flots de larmes et d' autres retenues, des peines de quatre sous et des tristesses si tenaces qu' elles sont devenues les fantômes familiers des soirs de solitude.
Pour un ami qui s' éloigne, un sourire de travers, un amour qui vous ignore. Pour une bille perdue, un scarabée mort, un petit chat noyé d' éther. Pour un secret dévoilé, un mensonge.
Un vieux qui ne vous reconnait plus.

Pourquoi faut-il pousser tout droit si c' est pour se brûler à des soleils de pacotille, des doigts qui cherchent sous la robe ce qu' on ne sera jamais plus ?

Ainsi s' en va l' enfance comme un brin d' été rougissant, pesant déjà, du gris mouillé de l' automne...

lundi 20 mai 2013

Pluie




Il suffit de la pluie pour qu' il me revienne
Et se presse à mes tempes
Des outres de la nuit
A l' aube zébrée de grains

Quels sillons
Ai-je laissé sur sa peau et dessous
Pour qu' ainsi il les taise ?

Un jour reviendront les parfums d' herbes sèches
La terre nue et sauvage où jamais il ne pleut

Saurai-je alors
Quelle forme avait ma trace
En plein cœur de son ombre ?

( 2010 ; version 2 )

mardi 30 avril 2013

Mer ( bribes... fin )


Je veux la mer
Te dis-je
Pas cette flaque morne
Rivée à son piquet
Comme un frison
Dormant debout
Mais celle que certains soirs
Je caresse aux reflets
Du ciel d' ici

Je veux la mer
Méchante un peu
Dans sa course de fauve

...
Le long du quai
Le vieux chalu
Portait un nom de femme
Que le sel a mangé


dimanche 7 avril 2013

Mer


Au bout il y a la mer
La brune et la farouche
Avec son rire d' entrailles
Vers qui l' on court à moitié nus
Le ventre offert
Sans jamais cesser d' être
L' enfant et son chagrin
Nautonier ta vareuse
Ton seau ta pelle
Et la tignasse tressés d' embruns
Tu parlais la langue des sirènes
L' oreille collée au labyrinthe
D' un coquillage vide

L' océan rien de moins
Celui qu' on ne trouve qu' au fond
De nos mémoires d' écume
Dans l' œil du capitaine

Je voudrais être née
Pour ne plus être au bord
Cingler vers le couchant
Et mourir un peu moins

...




dimanche 24 mars 2013

La nuit les mots...


C' était là
C' était là, il n' y avait qu' à laisser faire
C' était là, il fallait juste tendre la main pour cueillir une pluie de petits signes noirs
Lettres, phonèmes, mots filaient sans hâte, dans ce tendre entêtement des rivières
Et chacun d' eux étaient un océan

 ( l' enfance et ses secrets, les chagrins, les étés, comment je vois l' automne
 et puis tous les visages, les caresses sur la joue, la pluie, le manque et Toi dont le sang court encore aux veines bleues des mémoires )

Je contemplais, je crois, cette prose obstinée avec joie mais sans triomphe
La joie des soirs de juin, quand l' air est tiède et le temps infini

Demain, il n' y aurait plus de doutes et plus de déchirure
De tabac à fumer jusqu' à l' écoeurement
Et plus de noms d' oiseaux à s' octroyer de désespoir, à ne savoir pas dire ce qui pourtant nous mange

C' était là, dans une perfection tranquille
Lettres, phonèmes, mots
Le fond, la forme et l' indicible

Plus rien à ajouter
Que des bateaux à prendre
...


Le jour a mis le feu et pourtant il pleuvait

Vierge à nouveau, la page, comme mes nuits à venir

jeudi 7 mars 2013

Parfois, les nues...

 
Et mars
Trempé d' hiver
De fièvre, étend
Son armée de nuages
Le grand drap mauve du deuil
Sur nos amours
Encalminées
...

mercredi 20 février 2013

Promesse d' avril


La terre noire des sillons
Crevait la neige de part en part
Et je marchais
Sur un ruban de pluie
Dans le ciel à l' envers
Mes bottes fendaient les flaques
A la manière
Des poissons chats
Je reviendrai
J' ai dit
Je reviendrai au soir
Refaire dans les reflets
Le ciel à ma façon
Eridan, la Baleine
Et dénouer mes amours
Dans les cheveux de Bérénice
...
Le meilleur
De nos vies
Se tient souvent
Dans un secret

dimanche 10 février 2013

Bergère ( 4 )


Le visage taillé à la serpe, des mains de bûcheron, son nom même fleurait bon la forêt. Curé, c' était son boulot mais jamais on ne le voyait plus heureux qu' au milieu des grands bois, sciant, fagotant, le visage cramoisi devant des flammes si hautes que celles de Lucifer, à côté, semblaient des braises minuscules.
Il avait la bonté des simples. La sagesse des modestes. Sa Bible à lui tenait en quelques pages: l' hiver et puis l' été, la lune et le soleil, l' Enfer et le Paradis...
Il descendait après la messe dominicale, par l' escalier de grès qui mène à la maison. On mettait une nappe blanche quand l' abbé était là. Debout devant la table, il récitait, pressé, le bénédicité. Il faisait faim. Ses dimanches étaient nos lundis. Trois messes au moins lui ouvraient un appétit d' ogre quand nous, femmes et filles, fraichement bénies, le regardions manger avec cette tendresse amusée des mères devant leur marmaille avide. Au fur et à mesure des assiettes torchées à grand coup de tartines, son rire devenait plus sonore et ses colères violines.
Saintes colères disait ma grand-mère qui passait tous les emportements de celui qu' elle appelait mon Père et qu' elle aimait comme un fils.
Après le repas, il s' installait dans la bergère, oubliant pour un temps la rudesse de l' enfance, le froid glacial du séminaire. On posait devant lui la petite boite d' argent où l' on gardait ses cigarettes qu' il fumait à grandes et profondes lampées et buvait un cognac en levant ses yeux vers le ciel, demandant ainsi pardon au Très Haut.
Pour quelques heures alors, ma bergère, fière comme un siège papal accueillant de saints culs, envoyait le mien se faire voir au diable...

jeudi 31 janvier 2013

Sans titre

                                                                                         
                                                                                                         Jean Dutour
                                                                                                      Technique mixte
                                                                                                          

Il faut laisser venir
Sous nos paupières d' ombre
Ces femmes venues des brumes

Juste derrière ton ciel
Se tient leur nuit

               Jamais tu ne verras
               Ce que leurs yeux perçoivent
               Leur béance est un puits
               Toutes drapées qu' elles sont
               Du mystère
               De leurs robes épaisses

Visage d' automne mouillé
Une enfant déjà mère
Caresse d' un gant de soie
Son petit comme un fruit
Et l' espoir contenu
Dans cette boule de cristal
Happé déjà
Aux lisières d' un jet mauve

               Ballerines au bord du gouffre
               Inconsolé profond
               De l' éternel Absent...

mercredi 23 janvier 2013

La première neige



Oublie
Ce qui te chante
Mais en frottant ta peau
Sur la pierre dure
Des filles sans joie
Souviens-toi de sa bouche
Papillon frêle
Des soirs d' été
Et ton corps englouti
Dans la tiédeur exquise
De ses sables
Mouvants
...

La première neige
A eu raison de vous



dimanche 6 janvier 2013

Métro

La grosse bouche de Gorgone
Avalait
Recrachait ses noyés
Ecumants
Comme des chevaux qu' on cravache
Et du sang plein les yeux
Je voyais le joug invisible
Pliant leurs nuques épaisses
J' étais seule nageant
Dans cette bile humaine
Le nez dans des parfums
Haleines mains sales et sueurs
Mon corps déjà intime
Avec leurs paysages
Les os saillants de l' un
Et les replis de l' autre
Et chacun m' échappait
Rejeté sur le quai

De quand datait leur dernier rire ?
Leur dernier ciel ?

Je suis d' un pays où les hommes ont une peau
Et dessous des misères
Un coeur qui bat aussi
Au creux des mains calleuses
Les ténèbres sont partout les mêmes
Et nos vies comme là-bas minuscules
Pourtant la nuit d' ici
Ne fait pas de nous des aveugles
Qui ravive au tison
Son grand brasier de songes...


mardi 1 janvier 2013

Premier matin

Dans les limbes encore, j' ai tourné la tête et tu étais là. Soleil roux sur l' oreiller.
Tes yeux de chouette grands ouverts, tu me fixais, tranquille, comme née de la veille, comme si tu n' avais jamais été cette tigresse que plus personne ne peut approcher.
J' ai osé une caresse, une seule, m' attendant à voir ton corps se tendre, ton iris furibard s' embraser comme une torche.
Tu n' as pas bougé.
J' ai plongé mon visage dans ta fourrure épaisse, suivi à la trace tes courses de la nuit. La grange à foin, la mousse humide, la terre noire des bruyères, les chênes mouillés, les genêts...
Les genêts surtout.
Tu as fermé les yeux, à demi, il me semblait que tu souriais.
Alors, c' est venu de très loin, comme une vague du bord du monde. C' est venu du profond, des entrailles. Revenu de ce temps où tu nichais entre mon pull et ma peau.
Où tu ne savais rien de la cruauté des hommes.
Rocailleux d' abord, irrégulier, puis ample et chantant, clair comme une source dévalant de ta gorge à ton ventre, ce ronron magistral fut notre seule musique en ce premier matin.