jeudi 31 janvier 2013

Sans titre

                                                                                         
                                                                                                         Jean Dutour
                                                                                                      Technique mixte
                                                                                                          

Il faut laisser venir
Sous nos paupières d' ombre
Ces femmes venues des brumes

Juste derrière ton ciel
Se tient leur nuit

               Jamais tu ne verras
               Ce que leurs yeux perçoivent
               Leur béance est un puits
               Toutes drapées qu' elles sont
               Du mystère
               De leurs robes épaisses

Visage d' automne mouillé
Une enfant déjà mère
Caresse d' un gant de soie
Son petit comme un fruit
Et l' espoir contenu
Dans cette boule de cristal
Happé déjà
Aux lisières d' un jet mauve

               Ballerines au bord du gouffre
               Inconsolé profond
               De l' éternel Absent...

mercredi 23 janvier 2013

La première neige



Oublie
Ce qui te chante
Mais en frottant ta peau
Sur la pierre dure
Des filles sans joie
Souviens-toi de sa bouche
Papillon frêle
Des soirs d' été
Et ton corps englouti
Dans la tiédeur exquise
De ses sables
Mouvants
...

La première neige
A eu raison de vous



dimanche 6 janvier 2013

Métro

La grosse bouche de Gorgone
Avalait
Recrachait ses noyés
Ecumants
Comme des chevaux qu' on cravache
Et du sang plein les yeux
Je voyais le joug invisible
Pliant leurs nuques épaisses
J' étais seule nageant
Dans cette bile humaine
Le nez dans des parfums
Haleines mains sales et sueurs
Mon corps déjà intime
Avec leurs paysages
Les os saillants de l' un
Et les replis de l' autre
Et chacun m' échappait
Rejeté sur le quai

De quand datait leur dernier rire ?
Leur dernier ciel ?

Je suis d' un pays où les hommes ont une peau
Et dessous des misères
Un coeur qui bat aussi
Au creux des mains calleuses
Les ténèbres sont partout les mêmes
Et nos vies comme là-bas minuscules
Pourtant la nuit d' ici
Ne fait pas de nous des aveugles
Qui ravive au tison
Son grand brasier de songes...


mardi 1 janvier 2013

Premier matin

Dans les limbes encore, j' ai tourné la tête et tu étais là. Soleil roux sur l' oreiller.
Tes yeux de chouette grands ouverts, tu me fixais, tranquille, comme née de la veille, comme si tu n' avais jamais été cette tigresse que plus personne ne peut approcher.
J' ai osé une caresse, une seule, m' attendant à voir ton corps se tendre, ton iris furibard s' embraser comme une torche.
Tu n' as pas bougé.
J' ai plongé mon visage dans ta fourrure épaisse, suivi à la trace tes courses de la nuit. La grange à foin, la mousse humide, la terre noire des bruyères, les chênes mouillés, les genêts...
Les genêts surtout.
Tu as fermé les yeux, à demi, il me semblait que tu souriais.
Alors, c' est venu de très loin, comme une vague du bord du monde. C' est venu du profond, des entrailles. Revenu de ce temps où tu nichais entre mon pull et ma peau.
Où tu ne savais rien de la cruauté des hommes.
Rocailleux d' abord, irrégulier, puis ample et chantant, clair comme une source dévalant de ta gorge à ton ventre, ce ronron magistral fut notre seule musique en ce premier matin.