mardi 11 juin 2013

Quatre saisons et plus ( 1 )

Il me semble que j' allais toujours nue, à pêcher le soleil d' un filet lesté de coton.
Que le vent têtu de décembre n' était qu' une simple brise, les dessins du givre sur les vitres, de longues et graciles marguerites et les boules de Noël des cerises sur la neige...
C' est peut-être cela l' enfance, se sentir nu sous un chandail qui gratte, les mains libres au fond des moufles et de gros paquets de rêves nichés sous la cagoule.
Un être minuscule sous un ciel infini, nuque cassée, bouche grande ouverte à gober les larmes des nues, qui reçoit, comme une douche bienfaitrice, la pluie cinglante des mauvais jours...
Dans un éternel été de presque dix ans.

Un corps qui ne ressemble à rien. Je veux dire auquel on ne prend pas garde. Auréolé de bleus, griffé, poissé de mûres. Un corps qu' on cogne ou frotte à d' autres corps, nos semblables, et qu' importe qu' ils soient plus ronds, plus maigres, ossus ou bien nerveux. Un corps qui ne serait que membres: des pieds pour courir, des cuisses pour pédaler, des genoux pour grimper, des mains pour se suspendre et de petits biceps de rien qu' on bande comme on peut dans un geste d' enfant singe.
Deux bras, deux jambes, autour d' un cœur en marche.

Et puis un crâne fendu pour y loger son lot de songes et de pourquoi...
Pourquoi les nuages ont des ailes et comment s' y prend la souris pour enterrer nos quenottes? Pourquoi nos rêves de la nuit font si peur quand ceux du jour ont un parfum de miel ?
Et comment font nos mères pour avoir un ventre si doux et savoir dissoudre nos peines d' une caresse, comme le chocolat dans le lait de quatre heures ?
Car au dessus du jardin écrasé de soleil grondent des chagrins lourds.
Cauchemars et mares à boue... Des nez qui coulent et qu' on mouche à la diable d' un revers de main sale, des flots de larmes et d' autres retenues, des peines de quatre sous et des tristesses si tenaces qu' elles sont devenues les fantômes familiers des soirs de solitude.
Pour un ami qui s' éloigne, un sourire de travers, un amour qui vous ignore. Pour une bille perdue, un scarabée mort, un petit chat noyé d' éther. Pour un secret dévoilé, un mensonge.
Un vieux qui ne vous reconnait plus.

Pourquoi faut-il pousser tout droit si c' est pour se brûler à des soleils de pacotille, des doigts qui cherchent sous la robe ce qu' on ne sera jamais plus ?

Ainsi s' en va l' enfance comme un brin d' été rougissant, pesant déjà, du gris mouillé de l' automne...