samedi 30 août 2014

Exil ( VI )


Tu es la mer et dessous l' onde
Le vent qui fait lever la vague
Et emporte en ses serres
Le surgeon mort
Des vies à cru

Nos ivresses
A genoux
..

lundi 18 août 2014

Exil ( V )


Comme un tintement d' os
Une langue de couteaux
Ton silence perle encore

Au cloître de mes nuits

dimanche 17 août 2014

Mémoires ascendantes ( 5 )


Il est couché dans l' herbe, je ne vois que son dos. Le bras qui ondule à ses hanches. Je devine la brindille qu' il tient entre ses lèvres, dont vole l' extrémité comme une mouche tenace.
Je ne sais rien de son visage.
Il sifflote. Un chant plus léger que l' air. La salopette maculée de plâtre, de poussière blanche. Derrière lui la maison grande ouverte semble sourire aussi. Ma mère a dit: " ce garçon a de l' or dans les mains, mais il est indomptable.. "
Je connais les hommes sans en avoir jamais touché un seul. Aux Langues Orientales je suis la seule femme. Je connais les hommes et je les place plus haut que tout. Leur intelligence, leur force me fascinent. Rien à voir avec le poulailler bruissant de mes années d' Allemagne, ces classe de filles où je m' ennuyais à mourir.
M' a t' il deviné, je ne sais pas. Il fait trainer la pause. Ma mère dit encore: " la fin des travaux, comment savoir avec ce chien fou.." Un coude replié, il a posé la tête dans sa main. Je vois maintenant son profil. L' œil qui se promène en clignant d' une cime à un nuage. Les lèvres sous la barbe déjà grise. Il est de ceux qui portent à leur front la douleur de l' enfance, sur les joues les chemins creux des terres de solitude. Le farouche et l' abandon mêlés dans leur sourire qui fait baisser les yeux.
Il me sait dans son dos, désormais j' en suis sûre, mais ni lui ni moi ne bougeons même d' un souffle. Il me semble qu' un vent tiède baigne nos deux présences.
Bientôt ce serait le Simoun, ardant nos cœurs radieux.


L' eau se fend à la proue dans des senteurs de menthe. Nous sommes restés toute la traversée contre le bastingage. Je ne voulais rien perdre des odeurs et du vent, des couleurs de la brume. De la chaleur de Pierre se pressant à mon dos.
Nous n' avons rien voulu garder du mariage. Ni argent, ni présents, ni photographies. Oublier la mâchoire serrée de mon père, le sourire crispé de ma mère. Au repas champêtre, que même le vin n' égayait pas, ils parlaient de mon homme comme d' un semi gueux de vingt ans mon ainé.
Nos noces commenceront là, sur cette terre inconnue qui se découpe au large.
Pierre, Pierre, Pierre.. je fais rouler ton nom dans ma gorge chaque fois que j' agonise au feu de tes baisers.


                                                                                *

Paris ne cesse de me surprendre. Chaque jour m' offre un rêve à ouvrir comme un présent de Noël. Pour preuve, hier soir, j' ai rencontré mon mari.
Il ne le sait pas encore, les garçons ne voient pas ces choses là, mais moi dans ma tête, j' ai déjà dessiné la robe de nos fiançailles.
Les hommes ici, c' est pas ce qui manque. Au début, ils me faisaient peur. Je me piquais le doigt, ratais le point, chaque fois que je sentais le chef d' atelier contrôler mon travail, penché par dessus ma nuque. Quand l' un d' eux m' abordait dans la rue je devenais pivoine. Mais le jour où le patron m' a fait monter dans son bureau pour me dire, en bafouillant, que si j' étais d' accord, demain, j' oubliais la couture et devenais mannequin, j' ai senti quelque chose changer en moi. J' ai compris que les hommes, sous leurs grands airs, n' étaient pas si forts qu' on le croit.

Un bal. Un petit bal de quartier. Les copines d' atelier et moi, nous n' en manquons aucun. Paris n' est pas si grand, souvent nous retrouvons des visages, ou bien, si on les oublie, on sent à la façon d' attraper nos tailles, à la moiteur d' une main, à la gaucherie ou à l' expérience qu' on a déjà valsé avec tel ou tel, ailleurs, sur une autre place, sous des lampions ou le soleil.
Et puis il y a ceux qui ne dansent pas. Ils sont assis, tout autour de la piste et nous regardent passer d' un partenaire à l' autre ou boire nos citronnades en gloussant. Ils disent qu' ils nous courtisent mais ils n' osent jamais rien. Hier, il y en avait un nouveau. La mise impeccable, il tenait ses gants blancs posés sur la cuisse. Fines moustaches, sourire d' ange. J' ai fait comme si je ne le voyais pas, mais mes amies, ces garces, ne cessaient de me donner des coups de coude en pointant leur menton dans sa direction. Quand nos regards se sont croisés, j' ai su qu' il serait à moi.

Je ne fais plus que penser à lui. Sa façon de frotter son oreille de l' index en me suivant des yeux. Je lui invente des prénoms et des vies. Une voix. J' imagine les premiers mots qu' il me dira " je ne danse pas, non, mais j' aimerais vous offrir un verre " en écartant un peu le bras pour que je m' y agrippe.
Je compte les jours et les nuits avant le prochain bal.
Alors, il osera...











































































































lundi 11 août 2014

Exil ( IV )


Et derrière sont les mots
Lâchés comme des loups
Sur des chemins d' ivraie

Toi qu' à peine j' ai frôlé
Qu' as-tu fait
Du poème ?

vendredi 8 août 2014

Exil ( III )


Les tourments d' ici sont amers
Et tout se défait sous la peau

Mes mirages écorchés
Aux brisants

De ton ombilic



mercredi 6 août 2014

Mémoires ascendantes ( 4 )

Elle est entrée comme un chat en serrant tout contre elle un paquet entouré d' un linge rêche. La robe mal boutonnée laissait deviner les larges aréoles de ses seins alourdis. Elle a posé le paquet, devant toi, sans dire un mot ou peut-être s' il vous plait. L' ombre gagnait le bureau. Bientôt, on n' y verrait plus.

En quelques heures, la ville entière s' est saignée de ses habitants. Tous enfuis comme des rats. Tes enfants préparés à la hâte. Toi, comme toujours la tête haute et les mots rassurants. Au fond, la déchirure. Les larmes de ta fille sur les vitres de la Panhard. La petite main qui s' agite. Et ton envie de courir derrière. Mais le devoir... Il y a ces enfants, pas les tiens, dont tu as la charge. Des gosses de riches, de paysans cupides et gras. De pauvres filles en vérité, oubliées derrière les grilles du pensionnat...
Les rues désertes résonnent déjà du pas des ennemis qui approchent. Derrière les volets clos ne restent que quelques vieux qui ne veulent pas mourir ailleurs que dans leurs draps. Toi et ta poignée de filles. Et puis cette femme inconnue qui vient de poser un paquet sur la table, en te fixant de son regard de folle.
Tu as défait le tissu et la petite chose encore molle a roulé sur le bureau. Visage grimaçant d' un nourrisson qui cherche à sucer l' air plus encore que le sein. Tu as levé les yeux sur la femme et pour elle les larmes sont venues. Dans ton ventre dansait encore le souvenir de ta petite Lise, morte au troisième automne. Et cet enfant, avant elle, dont jamais tu n' entendis le cri.
Même poings fermés, même petites jambes torves. Même douleur.
Tu as roulé la couverture sur le corps minuscule comme on le fait pour les oiseaux blessés. Tu l' as pris dans tes bras et la femme t' a suivie. Une boite en carton. Quelques prières crachotées. Un jardin pour cimetière.
Et dans l' ombre du soir, vos silhouettes titubantes, recouvrant de terre noire le petit corps de
l' ange...


                                                                              *


La Der des Der, j' avais onze ans. Pourquoi faut-il que ça recommence?
Nous avons quitté Neuilly il y a un mois tout juste. Les livres des enfants, quelques photos, mes robes et les chapeaux que je fabrique moi-même, empilés dans des malles à l' arrière de la voiture.
Ici, dans cette cour de ferme, on ne parle pas de la guerre pareil.
Mon beau-père me fait peur, la bouche scellée sur ses secrets d' enfance. Son épouse est une sainte, plus douce que ne le fut jamais ma mère et leurs filles sont mes sœurs. Le soir après dîner nous sortons prendre le frais à l' ombre de la grange. J'oublie peu à peu les alertes nocturnes, qui nous faisaient nous serrer dans les caves, et les tickets de rationnement.
J' ai cousu, dans un tissu léger, une robe tablier d' un assez bel effet et j' ai remplacé les chapeaux par des bandeaux fleuris dans mes cheveux. Je hais le noir et les jupes lourdes des femmes du coin. La ville me manque et ses satins..
Je ne pourrai plus cacher longtemps mon ventre qui s' arrondit, mes seins qui s' épanouissent comme des soleils d' avril. J' ai passé quarante ans. Un âge indécent pour afficher qu' on se frotte encore dans le silence des chambres. Pour la troisième fois, je vais donner la vie.
Ce sera un garçon, je le sens à sa façon de bouger tout en bas.

Midi, le soleil cognait dur. J' ai voulu porter seule cet énorme seillon. " Dans ton état ..", a dit ma belle-mère. C' est juste après que j' ai senti mon ventre se fendre, le sang couler à l' intérieur de mes cuisses. On m' a couchée dans le grand lit. Les hommes étaient encore aux champs. Les femmes en noir ont fait ce qu' elles ont pu.
Il est né mort. Pas plus héros que chair à canon.