dimanche 14 février 2016

Impressions. Paysages minuscules ( 11 )


Pas une plaine, mais un drap d' herbe rousse que parfume la pluie.
Pas de franches hauteurs mais des coteaux de schiste cisaillés de rivières.

L' eau partout: des nues, des profondeurs.
Eau matée des canaux, eau fielleuse des marais.
De brume, de grêle, de sources vives; de ruisseaux sinueux et bavards.
Petites mers, baignant sans houle, de grands peupliers noirs.

C' est une terre d' enfance, de matins de rosée et de bleus aux genoux; de tritons en bocal, de paille dans les cheveux.
De mort qu' on apprivoise, en caressant le flanc, d' une génisse rompue, trainée hors du troupeau.

Des étables s' échappent l' odeur âcre du fumier.
Trois accords populaires.
Combien de maisons vides, de volets vermoulus ?
Café collé au fond des tasses dans des éviers de pierre, au bistre des cuisines où personne ne va plus.
Jardinets mangés d' herbes. Noël s' accroche encore à des bourgeons précoces.

Là, un clocher, là, une gare.
Acier des rails rongés de mousses.

Au bout du quai, spectre de l' ange, impatient et boudeur.
Du bord du monde il rentrait au pays. Se rincer au pays.
Trépigner au pays.
Devant l' écluse il s' arrêtait pour boire et lutiner, l' œil pâle, des filles effarouchées.
Puis cette route cent fois prise.
Et nous, dans ses pas, sans savoir.

Nos maisons sont des terriers de hasard.
Un seul baiser lave l' horizon et ses clartés de nacre.
Devant, le jour. Devant.
La vie devant.

Pays dressé, tu défies les frontières et tout ce qui empêche - sillons, tranchées, murailles - le bonheur, s' il existe, de rouler jusqu' à nous, comme un astre joyeux.