vendredi 29 avril 2016

Impressions, paysages minuscules ( 14 )


Toutes sont femelles infiniment.
Filles de brume, se trémoussant dès l' aube, elles caressent en rêvant l' herbe assoupie des berges.
Pin-up au soir couchant qui ondulent en fumant dans des lits de grès rose.
Femmes mères aux larges hanches. Epouses, amantes. De cristal ou d' ébène. De boue. Sorcières qui glissent au petit jour des cadavres en leurs eaux.
Il en est des rivières comme des femmes, qui mélangent dans leur ventre et la source et la mer. Le schiste et puis le sel.
La nôtre est une enfant.
Vois comme espiègle elle se tord. Vois son corps sans défaut sous sa robe aux volants d' écume.
Entends son chant, son rire, fendre les grands bois noirs en abreuvant les loups. 
Verte enfant, presque fille, quand elle tresse à ses flancs une ceinture d' ajoncs ou pose sur ses cheveux d' algues, quelques ponts en diadème.
Souviens-toi comme hier nous allions sur ses rives, que déjà ses méandres traçaient au bout des doigts la partition de nos caresses.
Puisse demain et toujours, elle, une autre, offrir l' émeraude à nos baisers.
Un gué à nos amours.


jeudi 14 avril 2016

Impressions, paysages minuscules ( 13 )


Autour, il n' y avait rien. Que des friches ceinturées de fleuve. Quelques moutons pavides, une ferme égarée. J' ai pensé à mon quartier d' enfance. La même insignifiance, la même fadeur modeste. De ces lieux où les gens font le paysage plus que les collines et les pierres. Où l' Histoire se limite à l' empan d' une vie.

Sa rue est un long mur percé de fenêtres et de portes closes. Le ciel est au delà.
Il faut se poser un moment ou bien longer l' usine et ses courants d' air pour sentir à nouveau le plomb, la graisse, la soupe.
Il faut percer le silence pour entendre les femmes, le sourire large, le regard grave, dans un long cri de poings levés. Fermer les yeux pour voir les hommes, armés de cannes à pêche, s' en aller ferrer le vieil horizon congestionné.
Alors, les gamins sortent leurs tartines sur des jardins d' asphalte, les vieux les regardent du seuil, les jeunes s' apostrophent et les maisons se tiennent par la main.

Sa rue est une longue façade que n' interrompt qu' une porte. Une simple porte à croisillons. Elle sent le bois et le travail bien fait du dimanche. Derrière, je ne sais pas. Un couloir à l' air libre. Un trou dans le gris. Une ville et ses lucioles... Et j' ai pensé voilà, il est d' ici, d' une maison humble et haute où la rue entre par les fenêtres.

Il faudrait la pluie pour l' écrire.

Il faut la pluie pour dire l' enfance et tous nos berceaux démâtés.