dimanche 21 novembre 2021

Des rivières (1)

 

Le Loing, mon bien nommé, car mâle assurément. 

Est-ce le buissonnement de ses rives à la barbe de lierre ? Sa façon de baigner, l'air grave, ses eaux mêlées de boue ? Ou bien, tel un lutteur de foire, de hisser les longues barques brunes accrochées aux pontons, de bander ses muscles liquides pour étreindre les îles ?

Il est l'ouvrier chantonnant aux beaux soirs d'avril tandis qu'en ses berges se dressent les épaves rouillées des usines et là, de grands silos. L'oeil à demi ouvert il veille, à la façon des pères, sur sa nichée de grappes blondes qu'il semence en amont, pénétrant la terre noire, pétrissant ses labours.

Il a pour le canal, qui le suit comme un frère, cette amitié virile. Une poignée de mains forte, un rire en fracas. Compagnons de bamboche chaque fois qu'ils se rejoignent, puis reprennent leur cours, lui rivière, gardant de leurs virées, des verres bus de pluie fraiche, des sinuosités de noceurs tandis que l'autre s'en va droit, sur son tapis d'algues.

Océan de mon enfance, petites mains défaisant l'eau. Le soleil tachetait de jaune étoile ses plages herbues. J'y séchais mes paumes devenues vieilles à vouloir dérider, des heures durant, ses friselis.

Il est mon Gange, ma boussole. Et du levant à sa source ou du couchant à son delta, ses eaux safran creusent un chemin qui me ramène à la maison.