Tu étais là, au bout du jardin, déguisant ton antre en berceau.
Est-ce parce-que le soir était doux, que tes versants abrupts lézardaient pour faire place au soleil, que le soleil choyait tes eaux à ras de terre, que tes eaux jouaient, presque sans rouler, à refléter les grappes roses des andrelles, que le rose des andrelles résonnait du vert profond des rhubarbes, est-ce parce que le soir était doux, je me suis glissée en toi, sans remous, et j'ai nagé dans tes prodiges.
A l'aube, c'est ton silence qui m'a cueillie. L'été se fit décembre. L'onde était de sang noir. Ta bouche démone crachait ses brumes et leur fumée soudait tes rives.
Alors, j'ai su ton vrai visage.
Dressant le serpent de tes eaux entre les pierres, entre les mousses, tes cheveux en racines et ton manteau de karst. Cabrant le serpent de tes eaux au creux des forêts sombres, hêtraies à aspérule et tilleuls des ravins. De part en part, de lourds sapins voilaient de bleu un reste de lumière.
Car la nuit est ton jour, tandis que tu tisonnes les baumes cendrées de tes falaises, que plus loin tu recueilles les flots de la Source Noire pour les recracher en cascades, que tout au fond du lit tu traces des routes obscures pour tes poissons d'argent.
Spectrale et verte, sous la voûte des vieux ponts qui chevauchent ta silhouette ruisselante. Nulle barque ne te fend, nul oiseau ne te chante.
Seule la roue des moulins ose passer les doigts dans ta chevelure d'encre, découdre ta robe de sorcière, drapant tes eaux d'un voile de nacre et de soleil.