Les poings serrés au fond des poches, le dos voûté, la tête dans les épaules, celui qui marche est d' abord une silhouette. Je dis
celui mais c' est peut-être
elle. Celui qui marche n' a pas de sexe. Il n' a qu' une histoire trop lourde à porter.
Celui qui marche ne sait pas où il va, mais il s' y rend d' un pas pressé. Tels les jouets de l' enfance, qu' on réveillait d' un tour de clé, ses jambes sont comme deux mécaniques dont rien, ni le vent, ni la glaise, ni les cailloux qui roulent, ne peuvent ralentir la foulée.
La beauté du paysage n' importe pas. Il faut qu' il soit assez vaste pour s' y sentir tout petit; assez familier pour n' y être rien.
Et puis, il faut le ciel...
Celui qui marche ne chemine jamais seul. Il emporte avec lui les morts et les vivants. Ses poches ne sont pas vides. Au creux des poings des mots dans des langues oubliées et la vie comme elle va.
Celui qui marche offre au vent sa tristesse, comme ces tombereaux de fusillés qu' on jette en un charnier.
Je dis
celui mais c' est peut-être moi...
Moi qui vais, sur les chemins trempés de pluie, ma peine collée aux bottes, levant des légions de perdreaux, libre volaille au vol si lourd qu' elle mérite bien quelques injures.
Moi, seule, traversant l' océan d' argile où les sentiers, comme des jetées ne mènent à aucun bateau...
Je suis celui qui marche et mon ombre me précède.
Et c' est Toi, je le sais, qui tailles mon chemin...