mardi 27 octobre 2015

Déjà partie je demeure


Si j' avais su cela
Que l' amour est absence
Mort de velours qui roule son dard
Dans le feu vif des retrouvailles
Le souffle cru des commencements

Chagrin d' enfant comme un vent fou
Court devant moi sous les paupières
Ecoute, comme à peine on se tient
Que ruisselle aux lisières
L' écume bleu nuit des au-revoir


( pourtant déjà partie je demeure
loin je longe encore ta maison ... )

                         *

Sous ma fenêtre l' homme au corps dru
De sa scie fend l' automne en deux

J' irai au soir
A la percée des feuillages
Vêtue d' audace et de chair nue
Accrocher le jour aux étoiles
Pour nous renouer en plein vol





mercredi 14 octobre 2015

Le portrait


Un rai de soleil paille entre par la fenêtre ouverte et les pivoines en feu éclaboussent le salon. Loin l' atelier et sa lumière du nord. Il ferme un peu les yeux.
Il a posé la toile, enroulée sur elle-même, contre le mur, côté jardin. Sur le bras du fauteuil son chapeau et ses gants.
" Je vais prévenir madame.. "
Madame.
Il est des mots plus tranchants qu' un fleuret.
                                                 
                                                                    *

Lui revient le sourire doux de l' homme à fine moustache s' étrillant devant la porte de son atelier.
" La poussière des fiacres... " avait-il dit piteusement en montrant ses bottines.
Puis le regard perdu sur les toiles inachevées et les visages de brume:
" Je voudrais un portrait de celle qui va devenir ma femme. "

Une voilette qu' on relève sur des lèvres comme un fruit ." Je m' appelle Louise "
Assise, elle lui faisait face, les yeux baissés, la nuque gracile.
L' envie de peindre, revenue, impérieuse comme un cheval fou.
D' un trait elle avait effacé les heures lentes à croquer des modèles sans vie, des chairs sans parfum, des yeux sans éclat. D' un seul geste, une posture, des boucles de cheveu, il avait retrouvé la brûlure sous la peau de ses doigts.
Et la lumière l' envie de jouer sur le velours des gorges.

Sa renommée s' étendait des rives du Thérain jusqu' aux portes d' Evreux. Il était ce peintre à la mode. Celui dont on vantait le savoir faire d' académicien et la sensibilité d' homme. Il était gras, riche et repu de gloire inepte.
Pourtant en cet instant, et tandis qu' il percevait de sous le paravent le frou-frou des jupons à terre, il se sentait plus maigre qu' un jeune peintre à son premier portrait.
Il s' agissait de faire chanter ce visage d' ange.
Et sortir de la nuit un corps fait pour l' amour.

Il l' aurait voulue nue. De ses poignets d' enfant jusqu' au mont du pubis. De ses bras ronds et blancs au pommeau du genou.
Ses seins veinés de bleu.
Il l' aurait voulue nue; elle avait revêtu sa robe de fiançailles.
Une robe couleur d' ivoire corsetée à la taille. Une robe de hanches pleines, de mamelons à l' affût. Faussement sage, elle le savait. Et rien de prude malgré le corps bridé, dans la façon de se tenir dans le clair-obscur du fond de l' atelier.
Debout. Elle avait décidé debout. Les doigts joints dans une prière indolente, les yeux rêveurs plongés dans ceux qui, courant de la toile à la peau, livraient bataille.
Contre le blanc du lin, le premier vrai combat.

Des heures ainsi dévisagée. Des après-midis entières à tenir la pose. Dessinée par ses mains, caressée par ses yeux. Ecoutant le pinceau s' égarer sur la joue, s' attarder sur les hanches. Délaçant chaque jour un peu plus le corset, libérant la chair des entraves.
Elle s' étirait à la pause dans des langueurs de chatte.
Et lui, lui dont l' image de Louise hantait les nuits, peuplait les jours, lui qui tenait ce corps entre les bras de sa palette, qui en connaissait chaque ombre et chaque rondeur, lui qui savait combien de roses il fallait pour ces lèvres, de bruns mêlés d' or pour la douceur des yeux, il lui semblait qu' il peignait une femme pour la première fois.
                                                               
                                                                    *

Un rai de soleil paille entre par la fenêtre ouverte. Il entend sa voix remonter l' allée du jardin. L' homme à fine moustache salue le peintre d' une chaleur non feinte, piaffant devant la toile roulée en parchemin. Elle entre comme le vent, les bras chargés de fleurs nouvelles. Sa taille s' est arrondie. Son regard s' est fait dur.
Il déroule le portrait comme un tapis persan.

" Seigneur, ce n' est pas moi ! " lâche t' elle en un feulement, portant les mains à ses joues, brûlantes comme un champ de neige.