dimanche 17 novembre 2013

Village. Portrait 5

Nom de baptême: Germaine.
Petite tête, vaste corps. Eternel manteau couleur bronze, évasé aux genoux.

Germaine chante à la paroisse, et pour peu qu' on la sonne, prend sa voix la plus suave pour célébrer les amoureux; la plus solennelle pour accompagner un défunt jusqu' au bord de son trou.
Le reste du temps, Germaine exige, presse, invective avec l' humour d' un métronome.
Nostalgique de ce temps béni où sa voix de stentor résonnait au delà du vallon, arrachant de leurs épis des faucheurs pré pubères pour les envoyer au casse-pipe.

Germaine a l' âme d' une mère maquerelle.
Un cœur d' adjudant chef.

Germaine m' agace. Germaine s' en moque.

Elle égrène les heures qui me restent avec un sourire de croque-mort.

10 commentaires:

  1. Fameuse cloche que cette Germaine, Agnès ! Une vrai battante qui nous signifie bien à chacun de ces coups notre nature corruptible. Cette image d'une cloche comme matrone-taulière, ne manquant de nous signaler la diminution de notre temps est encore une belle réussite littéraire. Le Temps dévore ses enfants, c'est bien connu, Germaine est là pour nous le rappeler.
    Oui, c'est un fait, et j'ai encore du mal à m'y faire (à mon propre anéantissement), c'est un fait que nous nous échapperons définitivement de cet asile de fous, ou de ce bordel planétaire, c'est selon les points de vue. Vous avez décidément le don de parler avec une simplicité désarmante des choses les plus graves ou pour les plus sages, un petit peu embarrassantes. Ceci Germaine a l'esprit éminemment démocratique : elle sonne pour tout le monde.
    J'adore votre dernière phrase.

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  2. Pauvre Germaine, elle ne fait que son boulot après tout..
    Et comme vous le signalez justement, dans sa grande générosité, n' oublie personne.
    Il faudra peut-être que je lui offre un droit de réponse.. :)

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  3. Oui, ces cloches d'église dans les villages, qui égrènent les heures, les quarts et les demies… Moi qui voudrais vivre sans montre et me laisser porter dans la journée par mes seuls désirs, j’ai toujours détesté cette cloche qui parlait le langage de la raison. Je détestais surtout ceux qui voyaient en elle quelque chose de rassurant, comme si le fait de couper en petits morceaux leur journée vide donnait subitement un sens à celle-ci.

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  4. Germaine doit être syndiquée, elle ne bosse que toutes les heures, mais deux fois de suite ( pas bègue, non, mais têtue.. ) :)

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  5. Bon, d'accord, elle ne sonne que les heures et ne travaille pas la nuit, mais qu'en est-il du dimanche ?
    Evidemment, si le curé a déserté le village, elle est au chômage technique.

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  6. Avec ou sans curé, le jour du seigneur, pour Germaine, c' est sacré ! :))

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  7. Qu'on se le dise : Germaine sera désormais le nom de toutes les cloches de tous les (b)effrois...

    Cent ans après le tocsin d'un samedi 1er août, cette phrase emplit l'espace sonore :
    "Nostalgique de ce temps béni où sa voix de stentor résonnait au delà du vallon, arrachant de leurs épis des faucheurs pré pubères pour les envoyer au casse-pipe."

    Belle réussite littéraire que ce portrait, oui Cléanthe, (j'eusse aimé écrire votre commentaire :). Agnès est un peintre hors pair.

    Et puisqu'on est (encore et toujours) dans la littérature, celle qui nous aide à respirer, (re) lire les premières pages de "14" d'Echenoz. Une merveille (aussi). Aures habet et non audiet.


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  8. Jamais lu. Je retiens. Les premières pages.. et le reste aussi :)
    Merci à vous, Michèle..

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  9. Dire quand même (parce que ces bonheurs de lecture ça doit se décortiquer, se savourer) l'étonnement à lire "Petite tête, vaste corps". De qui peut-on bien parler ainsi ; on ne sait pas et bien longtemps dans le texte, pourtant court, on ne sait pas. On est dans l'énigme, le secret et c'est un plaisir sans nom. On est au bord des mots, au bord des choses. Bascule, bascule pas ?
    Germaine sacré personnage tout du long...

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    1. Tout à fait. Personnage qui se dévoile sans jamais qu'on puisse l'identifier absolument. Sens flottant du personnage. Faisceau convergent de présomptions sans identification absolue possible.

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