dimanche 26 octobre 2014

Mémoires ascendantes ( 10 )


J' ai placé la bergère devant la fenêtre et j' y vois plus loin que la rue.
Parce-que mes voyages sont devenus immobiles et mes bateaux encalminés, que mes déserts refusent leur peau de dunes à mes mains caressantes, que le chant poivré des villes lointaines ne titille plus ma langue, j' invente la mer Noire dans une flaque miroitant au soleil,  les chutes d' Iguazù dans un drap qui sèche au vent, une rumeur de souk dans un salut de femmes...
Jamais la terre ne m' a semblé si bavarde depuis que mes yeux se sont tus.
Le monde plus vaste depuis que mes hanches sont de verre.
Plus lumineux depuis que j' y marche à tâtons.

Et j' ai toujours à portée de main un sac paré pour le voyage: mon chapelet, quelques affaires de toilette.
Le reste n' est que poids quand il nous vient des ailes.

                                                                                *

Un voyage chaque printemps. Avec les vieux de Bagnolet. 
Je mets des jours à faire ma valise. Trois robes, un pantalon léger, des corsages, deux gilets pour le soir, maillot de bain, chapeau, lunettes noires... Jupe tailleur et talons hauts pour le voyage.
A la sortie de l' avion il y a quelqu' un qui nous prend en photo sur la passerelle et je ne laisse jamais rien au hasard. Le baise-en-ville d' une main, sur lequel je noue un foulard léger qui danse autour de mes hanches, de l' autre je tiens la rampe en souriant sous les flashs.
Pour un instant, je suis Marilyn ou bien Jackie Kennedy.

La mer du grand sud est une flaque immobile et bleue. Rien de comparable avec la sorcière mugissante de mon Trégor.
Mais ce que j' aime par dessus tout, ce sont les fleurs d' ici. Corolles de soleils pourpres décrochés du ciel, qui se disputent les façades de chaux blanches et les poitrines des filles qui les portent en collier.
Loin, si loin, les hortensias de mon enfance, aux pétales de granit et de pluie.

8 commentaires:

  1. Que vous touchez un sujet sensible pour moi, voyages d'autrefois, ceux, immobiles d'aujourd'hui, voyages dans le voyage aussi...!
    P.S. je me décide, je mets un nom.

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  2. Tomber le masque, c' est aussi un voyage.. :)

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    1. ça, le rêve des océans dans une flaque, avec des bois d'allumette figurant des vaisseaux, des rigoles de pluie comme rivières en crue, et nos yeux comme les radars d'un avion. Et les grandes flaques, un peu profondes qui garantissaient leur mystère insondable à des rêves qui savaient déjà qu'ils finiraient...
      (même version que ci-dessous mais corrigée je crois en partie je sais pas mais ce matin...)

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  3. ci-dessus mais le com a été supprimé par mes oeuvres mais comme je ne savais pas que ça marchait alors j'ai...bref ce matin...un peu ...euh...

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    1. Bah, quatre petites fautes de rien du tout, y avait pas d' quoi fouetter un chat.. :))

      ( et, oui, entièrement d' accord pour le rêve.. )

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