vendredi 7 novembre 2014

Mémoires ascendantes ( 11 )

Seule, depuis les langes. Depuis que j' ai quitté le ventre de ma mère.
Seule, dans ma robe de baptême. Seule, sur les genoux de papa. Seule, loin de mes Gâtines, sous des ciels stériles et des hameaux de sable. Seule à chacun de mes départs. Seule devant mes enfants. Seule à repousser le malheur. Seule avec Pierre et seule sans lui.
Seule dans la grande maison.
Seule.

Ma solitude est une vieille amante au sexe tranché.
Je lui parle. Elle me répond de sa voix d' écho.

Je ne saurais dire à quoi j' occupe mes jours quand chaque matin parait plus neuf qu' un ciel lavé après la pluie. Prier, se blottir en soi; se perdre au labyrinthe de soi. Fouler les saisons à petits pas serrés. Ouvrir les portes et les tiroirs. Rêver des cerises et des roses. Laisser rentrer le soleil. Les absents. S' attabler tous ensemble. Se serrer sur le banc du souvenir.

Et caresser les jours qui me restent, comme un ventre bruissant qui ne craint pas le noir.


                                                                             *

Emile est mort. Tout le monde est mort. A chaque enterrement je pense à moi.
Mes enfants, mes petits, je voulais vous garder contre moi, que vous ne quittiez jamais le ventre.

Je tourne autour du téléphone. Je guette les pas qui passent devant ma porte et ne s' y arrêtent pas. J' ai beau précipiter le tic tac des aiguilles de mon tricot, battre à la course celui du carillon Westminster, le temps s' arrête entre deux soupes, entre bonjour et bonsoir ou entre deux hivers. 
Pour dormir il me faut des pilules et un bonbon aux fruits. Je le laisse fondre sur ma langue et défilent les visages d' autrefois, dans un grand carnaval sépia.
Les voix se sont enfuies, avec les rires et les flonflons.

Je hais le silence où grogne ma solitude comme une chienne dans la nuit.





6 commentaires:

  1. C'est quoi au fait ton métier ? Ecrivaine. What else ?

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  2. Une écriture si bouleversante, dans laquelle on reconnaît un bout de soi-même...

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  3. Je vous donnerais le Médicis, Renaudot, Goncourt, Femina, Nobel de littérature réunis...

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  4. Ben voyez, même heure, mêmes minutes au carillon Westminster, les lecteurs tombent comme des mouches

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  5. Merci à tous les trois..


    Petite coquetterie quand même, Cléanthe, si j' en étais, je préfère écrivain à écrivaine.. d' abord parce que mon oreille a un peu de mal avec ces noms féminisés et puis.. écrits vains, j' aime bien les choses désignées par leur contraire :)

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  6. bon moi non plus j'aime pas écrivaine. Un cafetier, une cafetière y en a des dizaines des pareils

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