samedi 7 mars 2015

Impressions. Paysages minuscules ( 2 )


Au bout du chemin la vieille grille fait un bruit de crécelle quand on la force un peu
Trois maisons, la ferme est devenue hameau

Il faut laisser le village sur la droite, grimper la côte qui le domine
Perché sur sa hauteur, le lieu a la douceur d' un nid, la quiétude d' un vallon

Ici la mer est jaune et les vagues se moissonnent
Etale, elle est de glaise et collante aux semelles

Au pied du sycomore
Gisent des vélos d' un autre âge
Semblables à ceux qu' ils enfourchaient, petits, aux étés saturés
Quand se faisait pressant le désir
Des berges

Ils rentraient au soir rougissant
La peau fraîche et tatouée d' algues brunes
Le chat dormait sur la margelle
Epousant le cercle parfait du puits

Les femmes s' affairaient aux cuisines échangeant des nouvelles d' en bas
Les hommes armés de seaux descendaient jusqu' à la fontaine
Au retour, ils ouvraient leurs gourdes devant le vieux calvaire

C' était avant
Avant que le vieux fou n' engloutisse sa maison sous une montagne de pierres

                                                                  *

Dans le vieux rocking chair
A la lisière des chaumes assoupis sous le feu
Tu tenais dans tes mains le poème

Ton chez-toi baptisé sur du papier de lin

A la Porte des Champs



26 commentaires:

  1. J'adorerai toujours votre vocabulaire marin :

    "Ici la mer est jaune et les vagues se moissonnent"
    "La peau (...) tatouée d' algues brunes"

    Mais j'aime aussi cette image du chat qui dort en épousant la forme du puits (construction en pierres qui renvoie à l'élément liquide, cette eau profonde, froide et mystérieuse qui sourd du sein de la terre). La margelle est circulaire, symbole de perfection et en se faisant courbe, le chat nous renvoie à une image féminine.

    Tenir dans ses mains un poème ou toute la douceur du monde dans les paumes.

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  2. Merci Feuilly pour cette lecture attentive :)

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  3. Superbe! Une vision d'éternité dans ce poème.
    Il me renvoie à une oeuvre magistrale, 1800 pages, "Fleuve sans rives" que je viens de terminer et dans laquelle nature et paysages sont peut-être les personnages principaux...

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  4. Le fameux " Navire de bois " cité par JC dans l' un de ses commentaires ?

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  5. Oui, mais le "Navire de bois" n'est que le premier tome de cette trilogie. L'ensemble s'intitule "Fleuve sans rives", image de la destinée de toute ce qui vit (ou ne vit pas), hommes, bêtes, végétaux, pierres.... (qui finalement vivent peut-être aussi). Les descriptions y sont d'une grande beauté, d'une grande poésie.
    Tu trouveras ici un article un peu mieux écrit que ce que je peux en dire, et ceci dans une revue faite pour toi :
    http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=4237

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    1. Oui, je l' avais lu cet article.. Nul doute que " Fleuve sans rives " sera en premier sur ma liste dès que j' aurai épuisé la pile qui m' attend encore..;)

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  6. C'est Raymond Carver qui disait qu'un écrivain qui a une façon spéciale de voir les choses et qui donne une manière de voir est un écrivain qui a une chance de durer :)

    Et comme Feuilly, je me régale de cette présente incessante de l'eau, élément féminin, et m'accompagnent les voix d'Odette et de Céline, l'une et l'autre grandes amoureuses devant l'éternel .

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    1. Quelle magnifique mémoire, Michèle.. et ça me touche beaucoup de lire ces deux prénoms sous votre plume
      Merci

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  7. J'aime bien le fou qui ensevelit sa maison sous les pierres,
    papier de pierre, papier de lin,
    maison de pierre, maison de lin.
    Et la lune qui fait :" Oh"
    Et le ciel qui rend grâce.

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    1. Et quand la lune fait "O" c' est qu' elle est pleine..

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    2. Quand le poète décroche la lune pour la poétesse, c'est le plus beau commentaire....

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    3. :))
      mais c' est encore mieux quand il amène les croissants..

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  8. N'empêche que c'est une énigme, une fois de plus.
    Qui est le vieux fou ? Quel être de chair est dans le rocking-chair ? Qui courait dans ce paysage tel un chien fou ?
    :)

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  9. Et que font ces vélos d’un autre âge au pied des sycomores ?
    Quels enfants enfourchaient des vélos semblables ?
    Est-ce celle qui écrit qui se souvient de son enfance en contemplant la carcasse d’un vieux vélo ?

    Et pourquoi est-ce devant le calvaire que les hommes ouvraient leur gourde ? Sans oublier qu’ils étaient alors chargés de seaux remplis d’eau puisqu’ils revenaient de la fontaine.

    J’adore ces textes où on ne comprend rien :)) Ils nous forcent à faire appel à notre imaginaire. 

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    1. Je crois en effet qu' il n' est pas nécessaire de tout comprendre.. Chacun ses clés pour ouvrir la porte des champs :)

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  10. car cher Feuilly, les vélos les enfants c'étaient ceux de la maison avant que le vieux fou ne l'engloutisse, tandis que le poème qui l'a écrit (!), Elle (?)
    et c'est la maison de qui (!)
    :)

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    1. mais le vieux fada fut aussi un jeune fou..
      et celui-là, si un jour je me lance, j' en écrirais des tomes :)

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  11. Jacques Izoard disait: "On ne comprendra jamais la poésie si on cherche à la comprendre. Je demande au lecteur d'avoir de l'imagination. Mes poèmes sont les gardiens du givre."

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    1. La poésie... et le reste :)

      J' aime bien " les gardiens du givre "..

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    2. Il s'appelait François.

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  12. Francis Bacon avait dit un jour que sa peinture "s'adressait au système nerveux du spectateur."

    Et je pense que la poésie doit, elle aussi, "mettre sous tension" le lecteur. Comme le dit Antoine Emaz (dont j'adore l'écriture), "multiplier les connexions possibles, du plus clair au plus opaque". Sachant qu'aux deux extrêmes du spectre, le poète n'est sans doute plus lisible.

    Nous avons chacun notre façon de cheminer, il y a ceux qui ne craignent pas de se perdre, assurés de trouver toujours un chemin, ceux qui aiment se perdre et rester perdus, et les inquiets les anxieux, les not quiet :)

    J'ai aimé savoir de qui parlaient les "Mémoires ascendantes" croisées. Ce que je regarderai (un jour), c'est si j'avais dans le texte assez d'indices pour le trouver sans qu'on me le dise. Non que je veuille à tout prix savoir ce-que-l'auteur-a-voulu-dire, mais j'aime pouvoir tracer des chemins, les miens (forcément) car les images nous sont propres,

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  13. Quant aux tomes sur le vieux fada, je les veux (!), Misayre !

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    1. Si vous saviez, Michèle.. je vous jure.. le plus fantastique personnage de roman qui puisse exister !
      De quoi faire baver un écrivain en mal d' inspiration.. :))

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  14. "Chacun ses clés pour ouvrir la portes des champs" quel juste commentaire. Je rajoute: chacun ses clés pour ouvrir les portes de l'imaginaire débordant de "grains de miel"
    Bravo Tintilou pour toutes ces ouvertures d'esprits et ce vocabulaire, qui appartient de plus en plus au petit bal du mois de mars, là où les oiseaux chantent avec de grand yeux furtifs. Il faut continuer de les faire chanter près du soleil, en prêtant moins attention aux oiseaux moribonds chantant près du sombre noyau de l'abricot.

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  15. :))) une visite annuelle qui me touche au plus haut point..

    et j' aime beaucoup, mais alors vraiment, le " sombre noyau de l' abricot ".. :)

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