vendredi 1 novembre 2013

Village. Portrait 4

J' ai dix ans et des yeux aussi ronds que les larges aréoles qu' on devine sous son corsage de soie...
Elle a croisé ses jambes de majorette, serrées dans un collant couleur chair.
Son pied balance au tempo lent d' une mélodie qu' elle est seule à entendre, une chanson à la mode qui dit love, baby love.
Son pied balance en même temps que les mots qu' elle lâche, d' une bouche entrouverte et mouillée, silencieux, comme des volutes de fumée mentholée.
Son pied balance et c' est une vague qui nait à la cambrure de la cheville, roule au genou, se meurt en haut des cuisses, sous les carreaux d' une jupe faussement sage.
Elle penche un peu la tête. Elle est ailleurs.
Sous la médaille de baptême, l' échancrure du tissu, la soie prête à craquer, j' entrevois le sillon qui court entre ses seins. Deux Everest laiteux et fermes. Des seins de cinéma, tendus comme une offrande. Des seins de louve ou d' amazone, de nourrice. De Vénus.
Et les petits boutons de nacre, étirés à l' extrême, sont comme la dernière digue à contenir
l' Eden, une terre d' abondance aux éminences sacrées.
Elle souffle un air tiède sur ses ongles pour en sécher le rouge étincelant. Elle n' est pas là.

Elle n' a que faire de mes yeux qui cavalent de sa gorge à ses cuisses, comme une grosse araignée, à l' affut d' un reste d' enfance dans ce corps de femme fait.
Elle n' entend pas la voix trainante de ceux qui l' appellent mademoiselle en se courbant un peu.
Sourde aux rires des morveux qui reluquent ses culottes séchant à l' étendoir...

Elle n' est pas là. Pas assise entre fromage et tabac dans cette boutique de culs terreux.

Elle chante à l' Alhambra..
Elle tourne à Hollywood...
Sous les flashs crépitants, se coule en bikini dans une eau bleu turquoise...



15 commentaires:

  1. Alors là je me frotte les yeux et je les refrotte , une vraie babylove, une suprême babylove, où la forme rejoint le fond, une diva rustique qui rêve d'étoiles et d'amour, car c'est bien de cela qu'il s'agit, d'amour...Une coquette sensible, qui rêve d'échapper de sa glu, probablement sans espoir, une souris naïve toute en cul et en seins, qui ne connait (presque) rien du monde (peut-être). Prête à tomber amoureuse du premier qui lui susurra quelque chose de sucré et de doux...Edwige, mon amie, est en danger, elle qui voit mes yeux sans les voir, sans voir que moi aussi j'ai dix ans et que je suis ailleurs comme elle.

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    1. ...d' amour, avec un petit a ?!
      m' enfin, Cléanthe, vous sous estimez votre Edwige ! :))

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  2. Dois-je insister pour dire que voilà encore un texte plein de pétulance. Une vraie santé!

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    1. L' anagramme d' eros c' est .. oser
      Drôle, non ? :)

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  4. Moi je retiens les yeux fascinés de l'enfant de 10 ans, vous Agnès, qui découvrez ce corps de femme avec incrédulité et envie.

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  5. Et quelques décennies plus tard, rien n' a changé.. :))

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  6. C'est fabuleux. Le travail de chaque lecteur. Qui s'ajoute. Une grande fête de la lecture et de l'écriture.
    Chacun son texte sa lecture :)

    C'était ma première lecture de ce texte. Ce que dit Feuilly. C'était ma première lecture et c'était bien c'était doux.

    Et puis car on ne se refait pas ou plutôt si on se refait, fait et défait sans arrêt :), je me suis dit ma petite ne confonds pas auteur et narrateur.

    Or à y bien regarder, aucun signe grammatical ici d'un narrateur masculin.

    Et à tout relire depuis le début, les quatre portraits, les voir séparés, croisés mais séparés.

    Alors chacun sa lecture :)

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  7. @ Michèle : pourquoi vouloir imaginer un narrateur masculin ? On a une petite fille, encore dans l'enfance, qui contemple, incrédule et un peu émerveillée, les transformations qui se sont opérées dans le corps d'une autre fille, plus âgée qu'elle.

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    1. @Feuilly, Michèle
      Les lectures ne s'excluent évidemment pas. Je me suis mis à la place du "je", et si je me mets à la place de cette petite fille, Agnès ou non, cela ne me gène pas. Car ce qui m'importe aussi, c'est aussi (et surtout-)) me rapprocher d'Edwige, même avec les yeux d'une enfant, même si je dois changer de sexe pour cela. Masqué et rusé donc.
      Alors, peut-être qu'à cette lecture, je suis devenu enfant, et féminin.
      On voyage, on voyage...

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    2. D'un texte l'autre, des bribes flottent et me suis raconté qu'un personnage courait tout du long, masculin car pour le coup la grand-mère du portrait 2 je l'avais d'abord attribuée à Agnès jusqu'à ce que je me prenne le narrateur dans la figure, ce sont tous ces télescopages qui jouent pour moi quand je lis chaque portrait ici.
      Ensuite comme j'ai été une petite fille (qui ne m'a jamais quittée :) ce regard a été tout naturel pour moi j'ai dit que ç'avait été ma première lecture...
      Quant à changer de sexe pour arriver à ses fins comme le dit Cléanthe, oui ce doit être faisable, par Amour (avec le grand A d'Agnès :), tout est faisable. Eusse d'ailleurs aimé être un garçon manqué, un casse-cou de première :)

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    3. Je vais relire aussi tous les portraits, et notamment le portrait 2. Vous avez raison, Michèle, il faut maintenant se faire une vue d'ensemble.Ceci dit, j'aime beaucoup ces petits échanges qui animent les textes et déstabilisent les lectures, car, personnellement, je suis toujours en train d'apprendre à lire comme à vivre d'ailleurs. Ce qui, me direz-vous, est la moindre des choses...

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  8. Ah, ah, j' adore.. :)
    Mais qui est donc ce " je " ? Moi seule suis censée le savoir et du coup, je me sens investie d' une espèce de supériorité ( ça me change :)) pas si désagréable que ça .. :))
    Et si ce je est moi-même, cela ne résout pas vos affaires car encore faudrait il que je ne sois qu' une et que je sache qui je suis.. :)

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  9. Savourez, Agnès, savourez... Par contre, si ce "je" est vous-même, notre petit problème pourrait se régler. En effet, pour le dire vrai et en deux mots en passant, je dois bien vous avouer les quelques doutes qui assaillent mon identité et ma prétendue unicité. Ce qui nous mettrait à égalité. Car à la question de savoir "Qui est ce "qui" qui raconte ?" répond comme un écho "Qui est ce "qui" qui lit" ? Nous sommes hordes mobiles,... meute..., horde...Sauvage ?

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  10. :)))) sauvage bien sûr.. même si nous sommes plusieurs, cela ne fait pas de nous des moutons .. :)

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