jeudi 19 juin 2014

Mémoires ascendantes ( 1 )


Ma peau est une terre froissée. Trois cent soixante douze saisons y ont creusé leurs rivières.
J' ai dix ans.
Depuis trois jours, j' ai dix ans.
Je trace des marelles sur le sol de la chambre. Quand le caillou dans ma tête tombera sur le paradis, il sera l' heure. Je sentirai le mufle tiède fouiller mes lèvres, poisser ma langue.
Et la main douce du bon Dieu caresser mon front.
Je n' ai pas peur.

Mes yeux sont secs de toutes les larmes que je ne verserai plus.
                                            

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Mon lit est une prison. J' aperçois le ciel, auquel je n' ai jamais cru, derrière ses barreaux blancs.
Elle s' est approchée et j' ai vu qu' elle portait la vie. Elle n' a rien dit. On tait les ventres qui bougent à ceux qui vont s' éteindre.
J' ai laissé mon dentier, le peigne et les bijoux sur la table de nuit. Ma chemise baille un peu sur mes seins qui ne sont plus ces fruits, nourris de pluies d' avril, ma fierté.
J' ai poudré mon visage de cendre.
Seuls, mes yeux d' oiseau ne se rendront pas.

Je donnerais ma vie pour vivre encore un peu.
Tenir l' enfant qu' elle porte.

Et fendre en deux ma peur.

4 commentaires:

  1. Magnifique, Agnès, vraiment, continue !! Fameuse rencontre, les deux tempo, la parturiente et la mourante...

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  2. La moururiente et la partante.. pas le choix : je continue.. :)

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  3. Très beau, en effet. On reçoit ce texte comme un coup de poing. Cette projection dans l'avenir, ce retour au passé (dix ans, la marelle, les jeunes seins nourris de pluies d'avril, la femme enceinte), cet avant et cet après qui se télescopent, tout cela produit un effet saisissant qui tourne au tragique.

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  4. Il y aura des moments plus doux aussi, j' espère.. :)
    Merci Feuilly pour ces encouragements..

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