dimanche 6 octobre 2013

Echec et maths

Je n' irai pas par quatre chemins, autant le dire tout net: les maths et moi ça fait deux !
Enfant déjà je maudissais l' os d' Ishango et le premier tordu à vouloir empêcher les gamins de courir dans la brousse en les faisant sécher sur pieds avec des: si d' un seul coup de percuteur le silex vole en quatre vingt treize éclats, combien le tailleur doit-il enchainer de gestes pour obtenir une hache prête à polir ?
Tant d' heures perdues, à plancher sur des collections d' œufs que cette vieille rapiat de fermière s' entêtait à vouloir ranger dans des boîtes, sans jamais en casser un, glisser en douce dans la poche de son tablier crasseux de quoi préparer une bonne omelette qu' on aurait partagé comme ça, sans chichis, sur un coin de table...
Combien de courses folles ratées, à compter les gouttes imbéciles s' échappant, imperturbables, d' un robinet dont le patron aurait mieux fait de changer le joint plutôt que de courir le guilledou ou s' enfiler des Suze au bistrot du coin jusqu' à plus soif.
Et combien de récrés, de parties de billes remises, à tenter de démontrer qu' un rectangle est un rectangle en essayant d' admettre que nos yeux, pourtant si prompts et perçants à repérer les nids, les chemins secrets des fourmis sous les feuilles, ne nous servent à rien: Quelle figure obtenez-vous ? Heu, un triangle m' sieur.. Prouvez-le ! Ben.. y' a trois côtés.. Tss tss ! La formule mon petit, tout est affaire de formule..!
Bon dieu, à l' aide, au secours, à moi ! J' implorais Archimède, il aurait fallu Pythagore. J' avançais Euclide mais seul Thalès pouvait me sortir du pétrin...
De la torture je vous dis !
Depuis lors, j' ai cessé de me triturer le crâne pour y sentir le début d' une bosse qui ne poussera jamais. Je vis dans un monde sans hypoténuse, où les facteurs sont des types qui sifflotent sur leur vélo, les identités remarquables des gens qu' on voudrait serrer dans ses bras. Et mes chemins à moi sentent bon la noisette.
Aussi, messieurs, je vous exhorte d' aller au diable, vous, vos blouses blanches boutonnées jusqu' au col, vos barbiches impeccables, et d' effacer de mes nuits blanches les tableaux noirs zébrés de petites écritures frénétiques, de ces chiffres qui ne me parlent pas, ces signes dépourvus de rondeur..
Prenez vos clics, vos clacs, vos bouliers et vos toises et rejoignez vos univers cubiques où jamais aucune logique implacable ne pourra rassembler mes idées folles en conjectures.
Développez-y tant qu' il vous chante, vos théorèmes de la limite monotone, du rang constant, de la base finie et du singe savant...
Laissez-moi vivre sans racine et sans puissance.

Car de vos noms illustres, Eratosthène, Platon et Ptolémée, Héron d' Alexandrie, Zénon d' Elée ou Mercator, je ne garderai rien, que le goût de la langue et du voyage.


8 commentaires:

  1. Je trouve, pour ma part, qu'il y a un je-ne-sais-quoi de mélancolique dans les déroulements démonstratifs de la géométrie, sorte d'algorithme du regret, des concaténations de tristesses, des syllogismes nostalgiques de mondes impossibles car sans restes, sans ruines et sans épaves. Une angoisse existentielle de l'indémontrable, un sens de la vérité univoque, un idéalisme amidonné résultant d'un assèchement du réel. La forme sans la sensation... le bréviaire du capucin des Nombres et des Asymptotes.
    Il y a de la prêtrise dans la numérique maîtrise .

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    1. Carrément monacal même, et du genre cistercien :)
      Ainsi, la mathématique serait cette chose belle et triste ?
      Je vous promets de m' en souvenir la prochaine fois que je devrai sortir mes doigts pour savoir que deux et deux font... combien déjà ? :))

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  2. Pas mal l'envolée de Cléanthe :)))

    Agnès, pliée de rire à la lecture de votre texte !
    Et si je suis (du verbe suivre :) le génie des mathématiques Wolfgang Döblin (fils du romancier Alfred Döblin, auteur de "Berlin Alexanderplatz"), qui cacha au nez et à la barbe des nazis son "équation de Kolmogoroff", étonnante anticipation de la théorie moderne du calcul des probabilités, si je le suis donc (je peux toujours courir), il y a des millions de chances pour que nous soyons à siffler sur nos vélos plus nombreux qu'à comprendre en quoi les hypo même ténuses ont changé nos vies :)

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    1. Pas mal ??? Où est donc passée votre fougue légendaire, Michèle ?
      Je la trouve franchement brillante, moi, cette envolée.. :)
      La vôtre aussi d' ailleurs, même si je ne suis pas sûre de pouvoir converser longtemps avec ce cher Wolfgang de son équation révolutionnaire.. :)

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  3. Vous ne devez pas trop vous inquiéter, car il semblerait que les savants et les mathématiciens eux-mêmes ont plusieurs interprétations de ces os d'Ishango, ce qui veut dire qu’ils n’y comprennent rien du tout. Certains pensent qu’il faut voir là l’ancêtre de la calculette, d’autres y voient un calendrier lunaire et d’autres encore un code barre préhistorique. Bref, c’est un peu n’importe quoi.
    Moi qui suis plus romantique, tout en restant dans le domaine mathématique, je me plais à imaginer qu’une dame préhistorique notait ainsi d’un petit trait toutes les fois où son compagnon, de retour de la chasse au mammouth, lui montrait physiquement le désir qu’il avait d’elle (ne parlons pas encore d’amour tendre, à l‘époque). Bref, la somme des traits représenterait alors la probabilité pour elle de devenir mère et de perpétuer la race du clan.

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    1. Votre version est plus affriolante que celle du code barre, j' en conviens..
      Sauf que moi, quand j' aime, je ne compte pas :))

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  4. Cet os d'Ishango avait frappé mon imagination et je l'avais enfoui :) Comme quoi, ce qui importe c'est souvent ce qu'on n'écrit pas :))) - je parle là des commentaires, qui restent toujours à la surface, sont d'humeur et légers ; l'écriture c'est autre chose :) -

    A propos d'écriture : lu tout à l'heure dans "Vallotton est inadmissible", le beau texte de Maryline Desbiolles paru en septembre (Seuil Fiction & Cie, 44 p., 8 euros) :

    "On sait depuis longtemps en mathématiques qu'on peut définir la surface par retranchement du volume et la ligne par retranchement de la superficie."

    Ai pensé à vous Agnès :)

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    1. La théorie du plein par le vide.. y a t' il une formule pour ça ? :)

      PS: c' est bien la première fois qu' on pense à moi à propos de mathématiques :))
      merci Michèle

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