lundi 14 octobre 2013

Village. Portrait 1

La chasse, la braconne, les champignons, les bois. Une vie.
Sa vie.
Depuis toujours.
Depuis le temps où il caillassait sa mère, qui n' avait jamais su lui dire le sourire de celui qui l' avait conçu.
Lui, belle gueule de petite frappe qu' on rêverait d' assagir. Les trois points des mauvais garçons tatoués à l' envers de la main. Le genre qui plait aux filles et des filles il en eut. Qui auraient renié père et mère pour suivre ce Brando des bosquets jusqu' au fin fond de sa tanière. Qui n' auraient tardé à pleurer sang et eau, cocufiées dès l' aube par la forêt toute entière. Guettant, comme des renardes, le retour d' un coureur de taillis, qui ne digérait que le fromage blanc.
Rêva une nuit d' océan. S' étonna de cette ligne qu' on appelait horizon. Mit dans sa besace de quoi tenir en mer, une poignée de terre sèche, et partit sans mot dire. Se trompa de sens et fonça droit vers l' est. Ne trouva pas la mer. Revint chez lui le lendemain soir. A quoi bon le monde ? C' était une fin d' été. Sous les chênes les girolles perçaient. Le jaune de leurs corolles valait tous les soleils...
Epousa la seule fille du pays qui ne fut jamais prise, parce qu' elle avait de larges hanches et ne rêvait pas de robes de soie dans le tournis des villes.
Enfila les automnes au goût d' humus et de cochons sauvages.
Traça dans un carnet à spirales les limites de son monde, à l' encre noire des forêts.
Et n' en demanda jamais plus à la vie.

7 commentaires:

  1. A quoi bon le monde ? En effet, puisqu'il est tout entier dans le moindre de ses reflets, comme le temps est tout entier contenu dans la seconde passante, comme l'univers tout entier pousse chaque instant à se (dé)passer. A quoi bon le monde, en effet, puisque nous sommes toujours là sans jamais y être vraiment, là, ici.. Seul le présent compte, et pourtant, il n'existe pas.

    On attend la suite de ces petits portraits champêtres plein de délicatesses poétiques.

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  2. " On ne part pas " disait Rimbaud.. Nos plus belles traversées maritimes naissent souvent d' un ciel au couchant et nos voyages les plus lointains se font au bout du jardin ou même entre les murs de la chambre..
    Pourtant, même si nous y sommes sans y être vraiment, si le présent est un enfant mort né, c' est pour moi une nécessité absolue que d' aller me frotter à l' ailleurs, à d' autres senteurs, d' autres peaux, d' autres langues, d' autres paysages, d' autres sourires, d' autres climats.. Partir pour revenir.

    Merci pour les " délicatesses poétiques " .. :)

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  3. Agnès grande voyageuse... :) Avec quadrant, sextant, octant, ou bien... ?

    J'adore cette énumération au passé simple sans pronom personnel. C'est très fort.

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    1. ...sans boussole, truffe au vent, c' est bien aussi.. :)

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  4. Ce que vous en faites bien sûr, comment vous habitez cette structure, c'est-à-dire que ce qui est très fort ce sont bien ces "délicatesses poétiques" dont parle Cléanthe :)

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  5. L'art de la ciselure, l'art de finesse et de la fragilité, aux confins des mots et des choses.., Si vous habitez vos textes comme le dit Michèle, c'est qu'eux-mêmes logent au cœur de votre âme.
    C'est toujours un plaisir...-)

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    1. Ils y logent sans doute, sinon pourquoi prendre la peine ( et le plaisir ) de les écrire ? :)
      Quant au reste, je vous laisse seul juge et si je continue, tant pis, ce sera votre faute :))

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